Quand les choses tournent mal pour une entreprise, un accès aisé à des fonds propres lui est bien utile. On décrit ici un instrument financier intéressant, applicable aujourd’hui plutôt aux entreprises financières, banques et assurances, mais qui pourrait potentiellement concerner certaines entreprises non-financières. Il s’agit de la ligne contingente de capital ou CEL, pour contingent equity line.

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Quand la solvabilité d’une entreprise se dégrade fortement, celle-ci doit souvent restructurer son bilan en accroissant ses fonds propres. Mais l’opération n’est jamais commode, parce que la levée de fonds est très difficile dans une période dégradée pour l’entreprise, et en tout cas ne peut se faire qu’à un niveau de cours très bas, extrêmement dilutif pour les actionnaires en place. Ils préfèrent souvent jouer la résurrection de l’entreprise et différer le plus qu’ils peuvent. On l’a vu par exemple de la part des actionnaires des banques suite au cataclysme de 2008 : ils ont poussé les dirigeants des banques à retarder tant qu’ils ont pu les augmentations de capital qui ne pouvaient se faire alors qu’à prix écrasé.

Une première solution bien connue est la ligne de capital qu’une entreprise peut exercer à son option. L’entreprise est libre de lever un certain montant de fonds propres auprès (en général) d’une banque, à un prix proche du cours boursier du moment. Mais une telle ligne est assez chère, s’accompagne d’une décote sur le prix de souscription et ne répond pas vraiment à l’objection faite plus haut de la barrière psychologique à accepter la dilution, ce qui rend difficile pour le management de lever l’option.

Pour une fois, l’innovation n’est pas venue des banquiers, mais des économistes et des régulateurs. Il s’agit des convertibles conditionnelles (ou CoCos) qui sont des obligations obligatoirement convertibles en ligne de fonds propres si jamais certains ratios financiers sont touchés. Vox-Fi s’en était fait l’écho ici sous ma plume et là dans l’excellent billet de Luigi Zingales et Oliver Hart. L’instrument est désormais utilisé dans le secteur bancaire assez couramment : si par exemple le ratio de solvabilité d’une banque descend en dessous d’un certain seuil, alors l’obligation est immédiatement convertible en actions, à une parité pré-convenue. C’est un airbag supplémentaire pour le bilan de la banque. Ce qui est intéressant dans le produit, c’est que l’actionnaire s’engage a priori à accepter la dilution si la situation se dégrade par trop. Ce faisant, il envoie le signal qu’il souhaite que l’option ne soit jamais levée et qu’il fera en sorte qu’il en aille ainsi. L’obligation devient une couche de quasi-fonds propres reconnue comme telle par le régulateur et les agences de notation.

La ligne contingente de capital (CEL) est une sorte de CoCo, mais sans le volet obligataire et donc sans apport de cash initial à l’entreprise (mais seulement en cas d’activation de la ligne au moment de l’augmentation de capital). Il s’agit uniquement d’un engagement bilatéral, pris entre l’entreprise et la banque, que cette dernière apporte un montant prédéfini de fonds propres dans un certain état défavorable de ses affaires.

Le produit convient particulièrement bien pour les assureurs, dont on sait qu’ils ont moins de latitude à lever de la dette senior sachant qu’ils doivent donner la priorité absolue à ces créanciers très particuliers que sont leurs clients (qui veulent être sûrs de recevoir leur indemnité en cas de sinistre). Le réassureur SCOR a innové sur le marché français en lançant une première CEL d’une maturité de 3 ans en 2010, d’un montant de 150 M€ en deux tranches, pour couvrir certains risques catastrophe pris sur son bilan. Pour l’histoire, une partie de cette ligne s’est vue exercée en juillet 2011 à la suite de la survenance d’un certain nombre de catastrophes naturelles au cours du premier semestre 2011. A la maturité de cette première CEL, SCOR a lancé en 2013 une CEL similaire, d’un montant de 200M€ en deux tranches, pour couvrir non seulement les risques catastrophes du même type que ceux de la première CEL mais aussi des risques extrêmes vie.

L’assureur-crédit Coface a contracté récemment auprès de BNP Paribas une très intéressante CEL. La ligne est de 100 M€ de fonds propres (ce montant étant toutefois abaissé de façon à ce qu’il ne représente pas plus de 10% des fonds propres) obligatoirement levés auprès de la banque sur trois ans si jamais l’un des deux événements se produit : un ratio sinistres à primes de 110% (il est aujourd’hui de l’ordre de 50%) ou un ratio de solvabilité inférieur à 105% (il est aujourd’hui de 147%). La prime annuelle pour cette protection est de 0,5%.

Si l’un des deux seuils est déclenché, BNP Paribas souscrit à 100 M€ d’actions à créer, à un cours égal à la moyenne des trois cours moyens pondérés par les volumes des actions Coface sur Euronext Paris précédant l’augmentation de capital moins une décote de 7%. BNP Paribas place dans le marché les actions ainsi souscrites. Si le prix de revente des titres par BNP Paribas est supérieur au cours de souscription décrit ci-dessus, la moitié de ce gain sera rétrocédée à Coface.

L’opération appelle quelques commentaires. Pour un assureur, un tel instrument se rapproche d’une forme de réassurance « excess » qui serait souscrite par les marchés financiers et donc qui ne passerait pas par le marché de la réassurance. Après les « cat bonds », on voit que les marchés financiers s’avancent de plus en plus dans des contrats de protection qui étaient l’apanage autrefois des réassureurs. D’autant plus que la protection CEL s’étale sur trois ans, alors que les contrats de réassurance sont en général établis sur une seule année, même si des contrats pluriannuels tendent à se développer. La protection n’est toutefois pas de même nature : dans la réassurance, il y a transfert de risque de l’entreprise et donc de ses actionnaires à une tierce partie. Dans le CEL, le risque demeure dans l’entreprise ; par contre les clients et assurés bénéficient de la garantie que les fonds propres seront augmentés, ce qui protègent leurs créances. Comme pour une augmentation de capital classique, ceci se fait au prix d’une dilution des actionnaires présents.

Peut-on généraliser ce type d’arrangement pour une entreprise non financière ? Probablement, en étant conscient des difficultés sur la route.

La principale concerne la définition précise du déclencheur de la CEL, notamment au regard de l’aléa moral. S’il s’agit d’un tsunami, comme indirectement dans le cas du CEL Scor, on comprend bien que l’événement déclencheur est exogène aux deux parties du contrat. Mais s’il s’agit de protéger le bilan de l’entreprise, on rencontre le dilemme classique de savoir si la protection n’invite pas le management ou l’actionnaire à des comportements plus risqués, à l’avantage de l’entreprise dans le cas gagnant, au désavantage du banquier dans le cas perdant.

Il faut donc s’attendre à des contrats complexes, qui ne satisfont pas toujours l’entreprise qui n’est pas habituée à cette pratique de surveillance, même si elle la connaît de plus en plus dans les contrats de prêts avec convenants de crédit. Il faut surtout dessiner des déclencheurs qui soient clairement opposables, non manipulables par le management et probablement qui couvrent des événements extrêmes, à occurrence faible mais à enjeu fort. Cela désignerait plutôt des entreprises dans des industries assez cycliques, soumises à des chocs rares mais d’impact important, par exemple liés aux matières premières.

Il faut noter que si le contrat est complexe, il porte en lui un certain équilibre qui peut même être vertueux. Un actionnaire ou même un management n’a pas intérêt à ce que la ligne CEL se déclenche en raison de la dilution qui y est attachée. C’est une garantie de bonne surveillance de leur part.

Dernier point : la banque couvre-t-elle la position de risque qu’elle prend en écrivant un CEL ? La réglementation boursière française interdit à la banque souscrivant à l’augmentation de capital de se couvrir simultanément à la détermination du cours de souscription. En d’autres termes, le risque pris par la banque s’assimile à un risque de prise ferme concernant le placement dans le marché d’un bloc d’actions.