Les experts-comptables méritent du respect pour leur connaissance très fine des PME et au-delà de la vie économique d’une région, sachant que leur portefeuille de clients est varié. Ainsi, cet ami expert-comptable m’entretenait du retournement de la conjoncture en Charentes autour de la production de cognac.

Celui qui pédalait de village en village en Saintonge ces dernières années s’inquiétait déjà de l’extension prise par les plantations de vignes à destination du cognac, surtout dans les zones périphériques autour de Jonzac ou de Pons. Il pensait « À la garde ! Pensez au cycle du porc ! Restez diversifiés ! », mais l’emballement était là.

Qu’on en juge. L’hectare de vigne à destination de cognac s’était négocié dans le passé à 12 000 €/ha. Or, le prix avait atteint 80 000 €/ha. Il était tentant pour tout agriculteur d’acheter des terres agricoles pour bénéficier de l’accroissement du quota de « terres à cognac ». Il en coûtait non pas 5 000 €/ha comme pour une terre agricole « normale », mais jusqu’à 30.000 €/ha. Les vendeurs de terre se mettant une partie de la plus-value spéculative dans leur poche. Ajoutez 15 000 €/ha pour la plantation de la vigne et le délai de trois ans avant la première récolte, de sorte que pour 45 000 €/ha, le viticulteur en herbe détenait un patrimoine de 80 000 €/ha. Quant au propriétaire de sa terre, il captait complètement la rente.

Il faut dire que produire son vin dans la zone agréée était tout à fait rentable : mon ami indiquait que la rentabilité nette atteignait jusqu’à 12 000 €/ha, soit un PER de 15X. Il s’agissait même d’une rentabilité où le viticulteur cherchait à toute force des dépenses à y imputer.

Aujourd’hui, il cherche à toute force les dépenses à couper car le cycle s’est brutalement retourné. Le marché étatsunien faiblit, le marché chinois également et est en fort risque d’être pris en otage dans le conflit protectionniste entre l’Europe et la Chine, malgré les récentes assurances en sens inverse de Xi Jin Ping au président Macron. On y vient plus bas.

On peut encore négocier des terres à cognac, mais le prix est redescendu à 40 000 €/ha. On parle même du besoin d’arracher des vignes au moment même où certaines viennent d’être plantées et ne donneront que dans deux ans.

Il suffisait pourtant de regarder vers le Bordelais, comme on le fait du canari dans la mine. La terre à vigne pour les côtes de Blaye ou de Bourg ou même dans l’Entre-deux-mers ne vaut plus que 8 000 €/ha et beaucoup de viticulteurs perdent de l’argent. Ils en sont réduits à arracher la vigne (pour une subvention de 6 000 €/ha – merci l’Europe) ou vendre le vin à bas prix. On trouve des Côtes de Bourg à 3 € dans les magasins, ce qui fait un tort terrible à l’appellation. Il va lui être difficile de retrouver le cachet d’un grand Bordeaux – ce qui était sa prétention autrefois – car un prix bas est un marqueur de « bibine » pour tout amateur de vin.

La vérité sur l’excès d’emblavure, si on peut employer ce mot pour les nouvelles terres à vin, c’est bien qu’il y a eu une bulle, comme celles qu’on observe sur les marchés financiers. Il difficile d’incriminer les exploitants agricoles quand les professionnels des marchés tombent plus souvent qu’à leur tour dans ce type d’excès spéculatif.

Cela pose quand même une question : pourquoi le BNIC, syndicat interprofessionnel qui gère les intérêts de la filière en délégation de service public, avait permis d’augmenter les emblavures de 10 %, cédant à la spéculation. La pression était trop forte. Le débat était entre les exploitants de 50 ans et plus et les trentenaires, ces derniers n’ayant pas en mémoire les crises de 91 et 97 ; ils n’ont vécu que la longue période de hausse continuelle pendant 25 ans jusqu’à la crise présente. Les jeunes du syndicat l’ont emporté. À leur décharge, la décision s’était accompagnée d’une autre consistant à baisser la quantité d’alcool pur par hectare. (Il faut savoir que le cognac se fait à partir d’alcool pur venu de la distillation du vin, d’un vin juste gardé quelques mois avant la distillation). Elle était passée de 12,5 hl / ha à 10,5, puis maintenant à 8,5, une mesure assez démocratique puisqu’ainsi, la rente est partiellement redistribuée aux nouveaux exploitants et non pas conservée par les anciens (si ce n’est que ce sont eux souvent qui achètent les terres nouvellement agréées).

Maintenant, au BNIC de rétropédaler pour retrouver une offre en adéquation avec une vision soutenable du marché. Pas facile.

Une dernière remarque pour noter comment se jouent les guerres protectionnistes. Par rétorsion contre disons une hausse des droits de douane sur l’automobile chinoise, il ne s’agit pas pour la Chine de monter à son tour ses droits de façon indiscriminée. On choisit l’endroit où ça fait le plus mal. Barrer le cognac du marché chinois mettrait à genoux – et donc en ébullition – une bonne partie de l’économie charentaise, ce qui coûterait cher une fois de plus, à nos finances publiques toujours compatissantes.