Et s’il fallait changer la structure actionnariale des grands cabinets d’audit ? La question se pose à présent que les Big Four (Deloitte, KPMG, PwC et EY) sont frappés par une nouvelle crise de confiance, à la suite des récents scandales Carillion, General Electric et Colonial Bank au Royaume-Uni et aux États-Unis. À nouveau des audits déficients, des auditeurs négligents ou aux ordres, alors qu’on croyait la chose révolue. Le Financial Times lance une série d’articles appelant à une réforme profonde du monde de l’audit. Il relève justement que les nouvelles normes comptables, dont IFRS en Europe, en soi un net progrès par rapport à des normes cantonnées au seul principe du coût historique, impliquent une responsabilité plus forte des acteurs. Comme les comptes reposent davantage sur des estimations et des modèles, il est vital pour leur crédibilité que s’instaure un vrai dialogue contradictoire entre l’entreprise et l’auditeur sur les choix comptables retenus.

Or, le lobby des Big Four repousse une fois de plus la difficulté : leur rôle principal est de vérifier la qualité du processus comptable retenu. Sans trop exagérer, on n’est souvent dans la situation où l’auditeur coche les cases d’un code de procédures. Limiter ainsi leur rôle limite sensiblement les cas déplaisants où l’associé en charge aurait à monter au créneau, au risque de perdre le compte ou d’accepter de se faire tordre le bras, ce qui n’est jamais agréable.

Il vient ici une sorte de paradoxe : les Big Four sont en situation de quasi-monopole vis-à-vis de leurs clients. Les potentiels concurrents de ce club étroit mentionnent de façon répétée que les barrières à l’entrée leur sont en pratique infranchissables. Pourquoi alors les Big Four n’usent-ils pas de leur pouvoir de marché pour mieux s’imposer à leurs clients en matière de bonne pratique comptable ? Forts vis-à-vis de concurrents qui voudraient les menacer, faibles vis-à-vis de leurs clients ?

Il n’est pas exclu que la structure de gouvernance de ces grands cabinets soit ici en cause. Il s’agit encore et toujours, malgré leur immense taille, de partenariats où chaque associé reste en quelque sorte propriétaire de ses clients, avec une rémunération fortement liée au revenu qu’il apporte et où les parts des anciens qui s’en vont sont au fil de l’eau cédées aux nouveaux arrivants. Le partenaire senior est trop souvent à la fois un commercial et un évaluateur. Le conflit d’intérêt pointe rapidement. Comme dans les cabinets d’avocats, son revenu personnel est étroitement lié au nombre de ses clients. Avec des problèmes d’homogénéité pour les audits des grands groupes internationaux : il y a certes un partenaire en charge du compte dans le pays du siège social, mais qui doit composer, pour assurer une qualité homogène, avec les puissants partenaires en place dans les pays des différentes filiales.

Le contraste est net avec une autre profession fiduciaire, les agences de notation. Les Big Three, S&P, Moody’s et Fitch, sont pareillement en situation d’oligopole étroit ; ils sont pareillement payés par les clients qu’ils notent. Mais à l’inverse des cabinets d’audit, leur force leur sert à imposer des notations parfois désagréables à la dette de leurs clients. On ne peut que noter pour eux une structure actionnariale radicalement différente : aucune des trois grandes n’est un partenariat, l’une d’entre elles est cotée en bourse, avec un capital éclaté.

Ne faudrait-il pas qu’au-delà d’une certaine taille, une entreprise d’audit devienne une société anonyme à capital fermé, avec des actionnaires externes, avec un conseil d’administration responsabilisé, de préférence cotée en bourse et astreinte à une véritable transparence. L’auditeur y deviendrait un salarié comme un autre, tenu à un principe hiérarchique mieux assuré. Ce qui est très efficace pour un petit cabinet d’audit est inadapté pour ces entreprises mastodontes.

Cette gouvernance plus saine pourrait au passage limiter les risques liés à la cohabitation sous un même toit des métiers d’audit et de conseil. Faut-il en effet séparer les deux métiers, comme on l’entend désormais de plus en plus chez le régulateur britannique ? Ce n’irait pas sans perte d’efficacité, car une entreprise d’audit bénéficie fortement de l’expertise et de l’attractivité auprès de son personnel que lui offrent les missions de conseil.

L’un de ces Big Four voudrait-il échapper à cette obligation ? Il n’aurait alors qu’à repasser en dessous du seuil de chiffre d’affaires qui l’impose, en organisant sa scission en deux entités, ce qui aurait le mérite d’accroître la concurrence dans cette activité.