La chimie est par nature très énergo-intensive : en France, elle fait partie des branches nécessitant le plus d’énergie pour un euro de valeur ajoutée, de l’ordre de 13 000 kJ par euro. Ceci, à la fois par ses consommations directes, mais aussi en raison de l’intensité énergétique des intrants qu’elle consomme. Dans une étude dédiée aux chaînes de valeur, l’Insee a mis en lumière le rôle déterminant du prix des intrants importés (Lafrogne-Joussier et al. 2023) dans les coûts de production et les prix de vente, affectant particulièrement le secteur chimique. L’intensité de consommation énergétique résume ces dimensions directes et indirectes, et retrace l’empreinte directe et celle de la chaîne de valeur amont. Nos calculs, dont les résultats sont présentés ci-après, se basent sur les données de consommation et de pertes d’énergie par secteur d’activité selon Eurostat.

 

Graphique 1 : évolution de la composition des consommations intermédiaires
de l’industrie chimique entre 2000 et 2021.

La taille des courbes représente l’intensité d’émission de gaz à effet de serre du fournisseur en 2019.

Données : Insee, Eurostat et Banque Mondiale. Traitement : La Société Nouvelle.

 

La production des intrants de la chimie est en effet très énergivore. En cause, un fléchage largement pénalisant : près de la moitié de ses consommations intermédiaires sont des produits de la branche elle-même et de la branche cokéfaction et raffinage dont la production est quasiment aussi énergo-intensive (11 600 kJ/€).

Une note favorable, cependant. Depuis 2006, on constate une diminution progressive du recours aux produits de la chimie et de la cokéfaction et raffinage dans les consommations intermédiaires de la branche (- 9 points en 14 ans), correspondant à une part croissante de la valeur ajoutée dans la production (+10 points). Depuis les années 80, la place des principaux produits énergivores se trouve être en net déclin, passant de 60 % à 45 % en 2020 (cf graphique 2).

En d’autres termes, dans son mix productif pour un euro de valeur produite, la branche utilise de moins en moins d’intrants et cette baisse provient quasi-exclusivement de produits issus d’activités très énergivores.

 

Graphique 2 : part des produits de la chimie, de la cokéfaction et du raffinage dans les consommations intermédiaires de l’industrie chimique depuis 1978.

Données : Insee. Traitement : La Société Nouvelle.

 

Si cette trajectoire semble mener vers la sobriété, il convient de rester vigilant quant aux effets de substitution dans le mix des intrants. La consommation directe d’énergie de la branche, croissante en volume comme en termes relatifs (de 4,5 % en 1978 à 6,9 % en 2021), pourrait enrayer cette tendance. Même réserve sur les produits venant des industries extractives, même si leur recours tend aussi à décroître depuis 1978.

Une comparaison de la performance énergétique de la branche avec les moyennes industrielles et françaises (graphique 3) alimente ce constat d’une pénalisation par le mix énergivore des intrants. La contribution des consommations intermédiaires à l’empreinte de la production supplante ainsi largement la moyenne industrielle (5 300 kJ/€ contre 3 700 kJ/€) bien que celle de la valeur ajoutée (contribution directe) soit très proche du niveau moyen (4 300 kJ/€ contre 3 700 kJ/€).

 

Graphique 3 : Composition des empreintes énergétiques de la production de la chimie, de l’industrie et de toutes activités confondues en 2020.

Données : Insee et Eurostat. Traitement : La Société Nouvelle.

 

Une comparaison internationale montre que l’industrie chimique française dispose d’une marge de progrès importante. Le graphique 4 par exemple ventile l’empreinte énergétique des intrants de l’industrie chimique pour chacun des pays. Il indique la contribution de chaque secteur fournisseur à l’empreinte totale obtenue (exprimée par euro de consommations intermédiaires).  A part l’Allemagne, les consommations intermédiaires des gros producteurs étrangers sont beaucoup plus sobres que celles de la chimie française. Comme attendu, la filière doit sa décevante performance majoritairement aux intrants issus de la cokéfaction et du raffinage (4000 kJ / €), certes au même niveau que l’Allemagne, et de la chimie elle-même (2700 kJ / €) mais qui contribue deux fois plus que celle du Japon (1300 kJ par euro de consommations intermédiaires). L’analyse multi-pays nous apprend aussi que tous les grands postes d’intrants énergivores sous-performent et pourraient crédiblement contribuer à l’efficacité énergétique du secteur. Ces résultats doivent néanmoins être nuancés : toutes les industries chimiques ne se ressemblent pas et comportent en vérité des activités et produits hétérogènes expliquant partie de ces écarts.

 

Graphique 4 : Empreintes énergétiques décomposées des intrants des principaux producteurs chimiques et de la filière française en 2020.

 

Données : Insee et Eurostat. Traitement : La Société Nouvelle.

 

Synthèse

L’industrie chimique fait partie des activités économiques les plus énergo-intensives. La quantité d’énergie requise par un euro de production de la branche excède celle des principaux producteurs chimiques, la moyenne nationale et celle du secteur industriel. Cette empreinte se caractérise par une relative homogénéité des intensités de ses composantes : 13 000 kJ par euro pour la valeur ajoutée, et 8000 kJ par euro pour les consommations intermédiaires. D’un côté, ces proximités ne permettent pas de désigner un plan d’action simple et unique : pour devenir plus sobre, aucun poste de la valeur produite ne doit être éludé et la solution doit être plurielle. De l’autre, deux dynamiques économiques laissent entrevoir une trajectoire facilitée de sobriété à accompagner. D’abord, les évolutions historiques de la composition des intrants de la branche, de moins en moins dominée par des produits dont la production est énergo-intensive présagent une diminution tendancielle de l’empreinte des consommations intermédiaires. Ensuite, des efforts de réduction de la consommation directe d’énergie de la branche (innovations, changements de processus de production, etc.) seront doublement récompensés : près d’un tiers des consommations intermédiaires proviennent de la branche elle-même. Au regard de ces éléments et de la croissance de la place de l’énergie dans les intrants de la branche, consentir à des investissements visant à réduire la consommation directe d’énergie devient incontournable pour réduire l’intensité énergétique de la production de l’industrie chimique.