François Meunier, Président d’Alsis Conseil et Président du Comité éditorial Vox-Fi, a publié une tribune dans Le Monde daté du 01/09/2014, qu’il souhaite également partager aux lecteurs de Vox-Fi. 

Le nouveau gouvernement va donc donner la primauté à la « politique de l’offre », selon la formule consacrée : la relance de l’économie et de l’emploi passe par la restauration des marges et de la compétitivité des entreprises et par la réduction des dépenses publiques, plutôt que par la stimulation directe de la demande des ménages.

Le diagnostic est en effet que l’économie n’a plus les moyens de répondre de façon compétitive à une hausse de la demande. Une politique de relance reviendrait à relancer l’économie de nos partenaires qui ne la font pas, c’est-à-dire aujourd’hui la totalité de la zone euro. Elle n’améliorerait que secondairement l’offre productive française et nos échanges extérieurs. Elle obérerait les comptes publics et dégraderait la perception de la solvabilité de l’Etat français sur les marchés financiers.

Il y a une demande potentielle, notamment à l’étranger, si faible soit-elle, à laquelle les entreprises françaises ne sont plus en mesure de répondre, faute de rentabilité et d’investissement, comme le montre le déficit structurel du commerce extérieur français.

Mais une telle approche comporte un coût politique et un risque, car ses effets sont sensiblement plus longs à apparaître que ceux d’une action directe sur la demande, quand cette dernière marche. Il faut en effet dérouler tout l’enchaînement – marges accrues des entreprises, investissement plus important, offre plus compétitive, gain de parts de marché, en France et à l’export –, avec à chaque étape des incertitudes dans le contexte d’une demande globale faible.

 

LA VOLONTÉ OU PAS DE L’ALLEMAGNE D’ÊTRE SOLIDAIRE

Il ne s’agit nullement de remettre en cause ce que certains appellent péjorativement le « dogme keynésien ». Le gouvernement prend seulement enfin acte du fait que l’ajustement dans la zone euro se fait hélas aujourd’hui de façon totalement dissymétrique : il porte de façon écrasante sur les économies les plus faibles, alors qu’il devrait idéalement être partagé entre les économies les plus fortes, à commencer par l’Allemagne, qui devraient stimuler leur demande, et les économies faibles, qui doivent la restreindre. L’ajustement par le bas est meurtrier pour l’activité globale de la zone euro, et crée un sérieux risque de déflation.

Si la France était l’Europe entière et si elle était maîtresse de sa monnaie, Arnaud Montebourg aurait raison, et une politique expansive, accompagnée de mesures sur l’offre, serait le bon dosage. Mais dans le cas français, la position d’Arnaud Montebourg, poussée à son terme logique, serait de sortir de la zone euro, ce qui soulève un autre débat.

Wolfgang Schäuble, ministre allemand des finances, l’a dit efficacement : être keynésien, c’est faire une politique expansive quand l’économie est faible, mais aussi restrictive quand elle est forte. Or, l’économie allemande, vue isolément, est indubitablement forte. Il a donc raison, si l’Allemagne ne se sent liée en aucune façon au sort économique de ses partenaires.

La divergence ne porte donc pas sur l’efficacité ou non de l’arme keynésienne ; elle est politique : la volonté ou pas de l’Allemagne d’être solidaire de la conjoncture de ses partenaires, y compris de leurs erreurs passées. Celle de François Hollande, lors de sa prise de pouvoir, est d’avoir annoncé qu’il pourrait infléchir la position des Allemands à ce sujet.

Il sous-estimait la perte de crédit de la France auprès de Berlin. Si l’Allemagne devait rentrer dans des accords de solidarité croisée, ce ne serait au mieux que concernant le futur, et non pour effacer un passif. Le gouvernement français semble avoir pris en compte cette réalité.

 

L’OFFRE JOUE SUR LA DEMANDE

De plus, une politique de l’offre comporte certains effets positifs à court terme. Restreindre véritablement la dépense publique, au-delà de la politique « du rabot » pratiquée jusqu’ici, signifie réorganiser et restructurer l’offre de services publics.

Il faut investir dans des technologies permettant des gains de productivité de l’administration (et donc éventuellement recruter), dédommager les personnels qu’on licencie et les autres perdants, etc. Mais à un niveau macroéconomique, ces coûts deviennent des revenus, distribués à d’autres agents.

De même, une politique de l’offre, en levant les obstacles administratifs et réglementaires et les distorsions de marché, stimule la concurrence sur les marchés des biens et services, sur le marché du travail, sur les marchés financiers. La concurrence, en éliminant les rentes et rémunérations excessives, en abaissant les droits d’entrée pour les nouvelles entreprises, réduit les prix et rend donc du pouvoir d’achat.

En ce sens, elle joue directement sur la demande. Un pas important est franchi par la gauche politique : elle s’approprie la notion de concurrence et son pouvoir « égalisateur » par le laminage des surprofits, le rôle de l’Etat étant de garantir, quand c’est possible, le bon fonctionnement des marchés, et en limitant ses interventions aux cas (nombreux) où c’est impossible.

L’ordre idéal d’un retour à la confiance serait donc : les entreprises d’abord, puis l’emploi, enfin les ménages. D’où la nouvelle priorité, hormis des mesures en faveur des bas revenus, en direction des entreprises plutôt qu’en direction des Français.