Peu importe finalement que la cuisine politique interne slovaque repousse de quelques jours le vote du FESF (fonds européen de stabilité financière). Toute l’attention des marchés se porte sur les banques. Beaucoup a été fait jusqu’à présent.

Elles profitent, tout d’abord, des mesures non conventionnelles de la BCE :

  1. Fourniture sans limite et à taux d’intérêt fixe de liquidité en euros, mais aussi en dollars (via un swap avec la FED notamment, qui n’a que modestement été souscrit cette semaine). En décembre, elles auront la possibilité de se financer pour 13 mois à un taux très probablement inférieur à celui d’aujourd’hui (1,5 %).
  2. Le financement de moyen terme est partiellement assuré par le second plan d’achat d’obligations foncières (le CBPP2 ou deuxième programme d’achat de covered bonds). Sa capacité d’action est infime par rapport aux tombées de 2012 (40 milliards d’euros contre 750 b d’obligations bancaires arrivant à échéance), mais la présence même de la BCE est censée rassurer les marchés.

Malgré tout cela, la crise de confiance demeure. Les banques continuent de ne pas se prêter entre elles et préfèrent déposer leurs liquidités excédentaires à la BCE. Après avoir abaissé les notations souveraines, les agences de notation revoient les ratings des banques espagnoles et italiennes.

L’effet sur l’économie européenne devrait rapidement se faire sentir avec une restriction du crédit que reflète de manière inquiétante la dernière enquête BCE (senior loan officers Survey). Le rythme de durcissement de l’accès au crédit est désormais similaire à celui du deuxième trimestre 2009…

Le troisième volet, et sans nul doute le plus important, est celui du capital des banques. Petit rappel.

Les banques restent très « leveregées » par rapport à leurs homologues américains. Le levier médian (ratio des actifs rapportés au capital) était, en 2009, de 17 en Europe contre 10 aux États-Unis.

Surtout, elles restent encore très exposées aux dettes souveraines. Cette exposition, contrairement à ce que l’on peut lire, n’est pas exclusivement ni massivement, transfrontalière. Bien sûr, les banques allemandes et françaises ont des engagements souverains important en Grèce, Espagne, Italie, etc.

Mais la véritable particularité du paysage bancaire européen est d’être extrêmement segmenté. Les banques sont des « champions nationaux », soumis à une surveillance nationale. En échange, elles sont, pour chaque gouvernement, un investisseur captif en bons du Trésor – l’incitation à engorger leur actif est en outre accentuée par la réglementation dite « prudentielle », pour laquelle aucun capital réglementaire n’est nécessaire en raison de leur caractère suppose non risqué.

Cette fragmentation du paysage bancaire explique pourquoi toute recapitalisation de grande envergure se fera au niveau national et non, comme les autorités françaises semblaient un temps l’espérer, via le FESF.

L’Agence bancaire européenne (ABE), dont la crédibilité s’est effondrée cet été avec la publication de la troisième génération de « stress tests », a décidé de redorer son blason en annonçant une estimation très contraignante des besoins de capitaux bancaires en Europe. Non seulement l’ABE souhaite-t-elle un ratio de capital très élevé (9 % core Tier one pour les familiers de Bâle 3), mais aussi inclure les pertes potentielles sur l’ensemble des portefeuilles des banques (pour simplifier les banques comptabilisent une partie minime des obligations souveraines qu’elles détiennent dans le trading book – où les actifs sont valorisés à leur valeur de marché – et l’essentiel dans le banking book – où c’est généralement la valeur faciale qui prévaut).

Une fois de plus, la fourchette des estimations de besoins en capital est très large. En particulier, atteindre un objectif de fonds propre aussi élevé que 9 % en 6-9 mois, comme l’a suggéré Barroso, suppose d’utiliser plusieurs canaux : vendre les actifs non stratégiques (réduction du levier évoqué plus haut) ; restreindre le crédit (effet négatif sur l’activité) ; augmenter son capital (via investisseurs privés ou publics).

[quote type= »center »]Penser qu’en recapitalisant les banques la crise serait résolue est une grande illusion.[/quote]

Or, pendant ce temps, la BCE évoque un possible risque systémique et exhorte les États membres de s’en tenir a une participation du secteur privé (PSI) limitée à 21 % de la dette grecque tel qu’il en a été convenu le 21 juillet dernier. Elle fait échos aux voix de plus en plus nombreuses qui suggèrent que la décote supportée par le secteur privé devrait plutôt être de 50 %…

Si on combine les positions de la BCE et l’ABE, l’équation européenne reste circulaire.

Certes, recapitaliser les banques pourrait envoyer un signal positif à des marchés échaudés. Cela permettrait notamment d’ouvrir à nouveau le marché de la dette primaire (quelques signes en ce sens ont été observés cette semaine avec des émissions à 2-3 ans de grandes banques européennes). Bien sûr, 21 % de décote sur la dette grecque ne règle pas son problème de solvabilité. Mais les montants évoqués illustrent au contraire un cercle vicieux qu’il faut à tout prix éviter.

  1. Les besoins de capital des banques sont estimés sur la base d’un scénario catastrophe. On voit mal les investisseurs privés s’impliquer massivement dans leur capital sachant que ce dernier pourrait être en grande partie absorbé par des faillites souveraines en cascade.
  2. S’il y a recapitalisation, il faudra que chaque État sinon nationalise, pour le moins injecte du capital dans ses propres banques.
  3. Quelle que soit la forme de participation de l’État (titres hybrides, etc.), les engagements seront tels que, très probablement, les AAA seront à risque.
  4. Ce qui impliquera également que le FESF, dont le rating AAA des principaux garants conditionne l’accès à un financement abordable, perdrait de sa crédibilité à un moment ou l’Union européenne tente d’en élargir les fonctions (achats de dette souveraine, crédits aux États à des fins de recapitalisation de leurs banques…).

Une fois de plus on prend le problème à l’envers

Plutôt que d’entériner l’idée que les banques puissent perdre beaucoup en cas de défauts en cascades (quelle surprise !), il serait avant tout nécessaire d’éviter la contagion. Il ne faut pas, bien évidemment, nier la possibilité du défaut, mais au moins doit-il être circonscrit aux pays en véritable crise de solvabilité (Grèce et Portugal avant tout). Penser qu’en recapitalisant les banques la crise serait résolue est une grande illusion.

La crise européenne est une crise jumelle : des banques et des États. Si le capital des premières est aujourd’hui un problème sérieusement pris en compte, le risque de contagion associé à la dette des premiers doit être aussi réglé.