Les chauffeurs de taxi ont montré une nouvelle fois leurs muscles et le gouvernement a mis à la corbeille un trop malin compromis. Il s’agissait d’enterrer la hache de guerre entre les taxis sous licence et les VTC, ces nouveaux acteurs qui opèrent par internet. Le compromis consistait à imposer à tout client utilisant un VTC un délai de 1/4h avant que la voiture arrive, avec une finasserie consistant à ne pas soumettre à cette contrainte tout client déjà inscrit auprès de l’opérateur. Les taxis ont bien sûr repéré la ficelle. Il y aura donc le délai ferme d’un quart d’heure (restant à savoir comme il sera possible de le surveiller). C’est comme si on imposait aux distributeurs d’eau potable, pour préserver la part de marché des producteurs d’eau en bouteille, de mettre un délai d’un quart d’heure entre le moment où on ouvre le robinet et le moment où l’eau coule.
 
Les taxis en ont profité pour envoyer un signal fort à tous ceux qui, de façon croissante, appellent à remettre en cause le système des licences (les « plaques » dans le jargon des taxis).
Conçues à l’origine pour s’assurer de la qualité professionnelle du chauffeur, les plaques sont devenues un efficace numerus clausus organisé par la profession pour garantir ses revenus. Comme la plaque est cessible et monnayable, selon d’ailleurs une curieuse entorse au droit public des concessions et licences, le seul moyen pour un postulant de devenir chauffeur de taxis est de racheter préalablement la plaque à un autre chauffeur, sauf à attendre une improbable émission de nouvelles plaques. Le prix de la plaque équilibre le rationnement organisé.
 
Il y a aujourd’hui de l’ordre de 17 500 taxis dans Paris ; il y en avait 14 00 en 1992 et plus de 25 000 en 1925. On estime, notamment par comparaison avec d’autres grandes capitales, qu’il faudrait doubler aujourd’hui le nombre de taxis sur Paris. Sans d’ailleurs, c’est là l’énorme gâchis du système, que la recette quotidienne de chaque taxi baisse de moitié : des taxis plus nombreux appellent une demande nouvelle de gens abandonnant les usages alternatifs de transport en présence d’une offre nouvelle.
 
Faut-il abolir simplement le système des licences au nom de la concurrence et du bon sens ? En dehors d’être irréaliste dans le rapport de forces présent, une telle mesure serait injuste pour les chauffeurs en place. Ils se sont souvent lourdement endettés pour l’acquérir et ils la considèrent légitimement comme le moyen, par remboursement de la dette d’acquisition, de se constituer un patrimoine retraite. D’un point de vue financier, la plaque est un formidable outil d’épargne : peu de ménages peuvent s’endetter sur base de leurs revenus futurs.
Face à ce dilemme, les autorités procèdent de façon subreptice et inefficace, espérant qu’un goutte-à-goutte de nouvelles licences n’ira pas fâcher les taxis. La montée constante du prix de la plaque rend pourtant le problème plus en plus insoluble.
 
Certains disent que c’est à l’Etat de dédommager les chauffeurs pour le préjudice subi en cas de libéralisation. Mais se ravisent devant un coût budgétaire estimé à près de 5 Md€.
La finance offre pourtant une solution élégante à ce problème. Voici comment : chaque chauffeur en place recevrait gratuitement, pour chaque plaque qu’il détient, une nouvelle plaque. On double donc le nombre des plaques, à charge pour chaque chauffeur de revendre la plaque émise sur le marché.
 
En première approche, ce doublement réduit environ de moitié le prix de chaque plaque. Mais le patrimoine du chauffeur reste (environ) inchangé : au lieu d’une plaque de 240 K€, il en détient deux de 120 K€.
 
Plus précisément, si le marché ne s’accroît pas suite à la mesure, le doublement des plaques n’a pas d’impact patrimonial. S’il y a un effet d’offre favorable, ce qui probable, le chauffeur y gagne même patrimonialement, à coût nul pour l’autorité publique.
 
Pour compléter la mesure, il faut une prudence d’exécution. Elle doit se faire avec l’assentiment de la profession et en pleine information du marché. Elle doit s’accompagner probablement de la mise en place temporaire d’une caisse publique de rachat des plaques pour éviter des mouvements erratiques de prix qui nuirait à l’acceptation de la mesure. Peut-être aussi le doublement du nombre des plaques est-il trop ambitieux.
 
On reconnaît dans cette proposition un mécanisme bien connu des marchés financiers quand une entreprise procède à l’émission de titres nouveaux de dette ou d’action. Les investisseurs déjà en place ne veulent évidemment pas que cette émission nouvelle vienne réduire (« diluer ») la valeur des titres qu’ils détiennent si jamais elle se fait à un prix différent de leur prix courant. Ce mécanisme anti-dilution s’appelle un droit prioritaire de souscription, qui est négociable et cessible sur le marché. Tout se passe dans notre exemple comme si la nouvelle plaque émise était un droit prioritaire de souscription, cessible sur le marché.
 
Évidemment, la mesure ne remet pas en cause le système des plaques et ses inconvénients. C’est son défaut. Peut-être faudra-t-il une nouvelle émission d’ici une génération (si Bruxelles n’est pas entre temps venue mettre fin au système). Mais d’ici là, on aura réglé la pénurie, créé près de 50 000 emplois à l’échelle nationale et rendu un fier service aux habitants des grandes villes. Regardons cela de plus près.