Traduction autorisée de “A tax on short-term debt would stabilise the system”1. Luigi Zingales est professeur de finance à l’Université de Chicago – Booth School of Business.

L’idée d’imposer une taxe sur les transactions financières, appelée aussi taxe Tobin d’après l’économiste qui l’a proposée en premier, connaît un retour de vogue. Elle attire politiquement parce qu’elle cristallise les demandes de punir les banques pour la crise qu’elles ont provoquée. Elle satisfait le besoin politique de « faire quelque chose » pour éviter une répétition de la crise. Et, à un moment de crise budgétaire, elle donne un moyen commode de collecter des ressources sans relever l’impôt sur le revenu. Les dirigeants de l’UE ont pressé le FMI de proposer une telle taxe.

Malgré ce fort soutien, la taxe Tobin rencontre de sérieuses limites. D’abord, elle n’est pas facile à mettre en œuvre. Si la taxe ne porte que sur le négoce d’actions et d’obligations, le gros du négoce partira vers les marchés à terme et d’options. Si elle s’étend à tous les produits dérivés négociés, elle favorisera les contrats dérivés non négociés ou des contrats qui seront créés pour y échapper. Ensuite, à défaut d’être appliquée de façon homogène à travers le monde, elle détournera le négoce vers les places offshore. Voulons-nous vraiment transférer tout le négoce aux Bermudes ? Enfin, l’idée qu’une telle taxe évitera une nouvelle crise n’a pas été prouvée. Selon ses défenseurs, le but de la taxe est de dissuader le comportement « spéculatif », afin de réduire la volatilité des prix d’actifs. Hélas, rien ne prouve qu’il en aille ainsi.

L’idée d’une taxe pour dissuader les comportements socialement indésirables est bonne. Mais si nous voulons prévenir un retour de 2008, il faut viser le comportement le plus susceptible d’avoir causé la crise. Or, celle-ci n’a pas été due à du négoce financier excessif, mais à des prises de risque excessives. Ce qui a transformé en crise majeure des pertes relativement anodines sur les prêts immobiliers subprime a été l’énorme levier de dette des intermédiaires financiers, le plus souvent à court terme.

Comme l’argumentent Gary Norton et Andrew Metrick dans un papier récent2, la crise s’est précipitée sous l’effet d’une ruée des banques sur le refinancement à court terme (prêts dits repos à 24 h). Quand les pertes sur les subprimes ont frappé ces intermédiaires, les prêteurs à court terme, par crainte de leur faillite, ont refusé de renouveler leurs prêts. Ce retrait progressif de la trésorerie a forcé les intermédiaires à vendre toujours plus de leurs actifs, déprimant les prix en cascade. Cette crise a été similaire à une ruée bancaire classique, sauf qu’elle a été initiée par les prêteurs à court terme.

Anticipant ce risque, pourquoi donc les intermédiaires financiers ont-ils choisi d’emprunter autant à court terme ? Parce que cela leur permettait d’emprunter davantage et moins cher, pour accroître les profits. Les prêteurs à court terme pendant tout ce temps restaient confiants dans leur capacité à se retirer très vite en cas de difficulté. Mais l’option de sortie ne vaut que pour chaque prêteur individuellement ; elle n’est pas disponible pour tous les prêteurs simultanément. Quand ils décident de sortir, non seulement c’est trop tard, mais ils précipitent la crise. En d’autres mots, les incitations à emprunter court excèdent ce qui serait optimal du point de vue de la collectivité.

Voici le cas typique où un impôt peut arranger les choses. En taxant l’utilisation de financement à court terme (disons avec une maturité de moins d’un an), on décourage à la fois un levier excessif et le recours à un levier à court terme, ce qui évite la crise.

Si la dette à court terme est si dangereuse, pourquoi n’en a-t-on pas vu les effets pernicieux avant ? Quand l’inflation était élevée et volatile, la dette à court terme était à la fois coûteuse et risquée parce qu’elle comportait un très gros risque de refinancement. Les 30 dernières années d’inflation faible ont balayé ces coûts. La politique du FED de taux d’intérêt bas a fabriqué des incitations à emprunter court. La concurrence intense entre banques et des rémunérations qui récompensent abusivement la performance ont fait le reste. Tout rendait irrésistible l’emprunt à court terme, avec des conséquences systémiques importantes.

Certains disent que la meilleure façon de résoudre le problème est d’éliminer la déductibilité fiscale de la dette [voir débat lancé par le Blog de la DFCG : « Débat sur l’imposition des frais financiers », 17/11/09 ]. Dans un environnement de taux d’intérêt proches de zéro, la suppression de la déductibilité des frais financiers aurait l’effet pervers d’encourager la dette à court terme (dette sur laquelle la non-déductibilité a l’effet le plus faible) par rapport à la dette à long terme.

Une meilleure solution est une taxe sur la dette courte, surtout sur celle des institutions financières. Une taxe de 1% sur l’encours de dette à court terme permettrait de lever près de 15 Md€ par an uniquement sur les neuf institutions financières les plus grosses. Cela ne réglera pas nos problèmes budgétaires mais suffirait à financer, par exemple, le nouvel effort militaire en Afghanistan. Plus important, cela pourrait stabiliser notre système financier et prévenir une nouvelle crise.

1Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par François Meunier.

2 Gorton, Gary B. and Andrew Metrick, “Haircuts”, NBER Working Paper No. 15273, August, disponible par demande au blog DFCG.

Cet article a été publié une première fois sur Vox-Fi le 15 janvier 2010.