Valait mieux naître garçon que fille. Et encore, si on naissait
Une étude formidable vient de paraître dans le site espagnol ami Nada es gratis sur la discrimination de genre. Oui, elle a existé. Francisco Beltran, dans une première étude disponible ici, a été courageusement se palucher les registres paroissiaux espagnols depuis quatre siècles pour regarder ce que donnait le sex ratio (SR), c’est-à-dire le rapport du nombre de garçons et de filles (ici, non pas à la naissance, mais au baptême). On rappelle que l’équilibre naturel donne un SR d’environ 105, c’est-à-dire qu’il nait naturellement 105 garçons pour 100 filles (les bébés garçons sont plus fragiles que les bébés filles et il en meurt 5% de plus), de sorte que, dans sa sagesse, mère Nature en fait naître un peu plus pour rétablir l’équilibre. (On pourrait suggérer à mère Nature de rendre les bébés garçons plus costauds, mais c’est une autre histoire.)
Eh bien, graphique 1, ce qu’on connait aujourd’hui de la Chine et de l’Inde du nord existait dans l’Espagne catholique des siècles passés : les filles disparaissaient des chiffres et sans doute disparaissaient tout court avant le baptême. Au 17ème siècle notamment, on était couramment sur des SR supérieurs à 110, et atteignant même les 120 (un chiffre qu’on ne voit aujourd’hui qu’en Inde du Nord).
Graphique 1 : Sex ratio au baptême, Espagne, 1575-1975
On note que le SR est passé en dessous de la barre des 105 à l’époque franquiste.
La richesse des registres paroissiaux permet d’aller plus loin. Normalement, on en convient, la probabilité qu’une naissance soit un garçon ou une fille est aléatoire et ne dépend pas du sexe des naissances précédentes. Or, les auteurs constatent que la probabilité de baptiser un garçon augmente dans les cas où il n’y a pas eu auparavant de frères et sœurs (de 51 à 62 % !), ce qui n’est pas le cas lorsqu’il n’y a pas eu de sœurs. Il devait y avoir des motifs économiques à cela : la probabilité est d’autant plus forte qu’il s’agit de familles aisées (avec du patrimoine à partager) et, à l’autre bout de l’échelle des revenus, de familles de travailleurs journaliers qui ne pouvaient guère entretenir trop de bouches.
Et une fois passé l’obstacle de la naissance ?
Une fois nées, les petites filles en avaient-elles fini avec ces soucis ? Une autre étude du même auteur semble montrer que non. Il calcule ainsi, toujours à partir des registres paroissiaux et sur les années 1750-1975 en Espagne, la probabilité pour un enfant de mourir entre les âges de zéro à 10 ans. Le graphique suivant montre la différence entre la probabilité de mourir des garçons et celle des filles. On voit bien la fragilité naturelle de la santé des tous jeunes garçons, surtout au cours de la première année de vie. À partir de là, il y a normalement une mortalité qui s’équilibre à peu près, les jeunes garçons restant néanmoins plus fragiles que leurs sœurs. Ceci à condition qu’il n’y ait pas de discrimination dans l’accès à la nourriture et à la santé. Il est donc désolant de constater sur le graphique 2 la surmortalité des fillettes par rapport à leurs frères. L’infanticide féminin s’accompagnait donc de négligence parentale envers les filles.
Graphique 2 : Différence entre les taux de mortalité des garçons et des filles, Espagne, 1750-1975
Il semble que ce profil de la courbe, et donc cette surmortalité volontaire des petites filles, ne se soit interrompu qu’à compter des années 1925, la belle époque républicaine qu’a vécu l’Espagne avant Franco et qu’illustre bien la série espagnole à succès Les filles du téléphone.
Cet article a été publié sur Vox-Fi le 9 septembre 2020 et le 10 février 2021.