Valeur actuelle nette : comment on s’en servait il y a 400 ans ?
Ce billet, tiré du blog The Conversable Economist, commence par une devinette. Cher lecteur de Vox-Fi, pouvez-vous répondre au calcul de VAN ici posé. Eh bien, il y a quatre siècles, des tables circulaient qui donnait le résultat. Et elles étaient utilisées à des fins inattendues. Note de la rédaction de Vox-Fi.
En 1628, Ambrose Acroyd publia un ouvrage intitulé Tables of Leasses and Interest. Acroyd était administrateur au Trinity College de Cambridge de 1615 à 1625. Il a notamment occupé le poste d’intendant principal – l’équivalent moderne pourrait être directeur financier. Le premier tableau de son livre se concentre sur une situation spécifique :
Le tableau « i » d’Acroyd envisage une situation très spécifique : quelqu’un possède une annuité de 1 £ par an pendant 21 ans. Quatorze années ont passé, laissant sept années restantes. Le premier tableau d’Acroyd indique le montant à payer pour « compléter » cette rente jusqu’à vingt et un ans. Dans ce cas, le résultat est …. La solution est à la ligne « 14 » du tableau.
Il s’agit d’un exemple de calcul de « valeur actuelle nette » : en d’autres termes, combien faut-il payer dans le présent pour recevoir un flux de revenus dans le futur ? Le livre d’Acroyd n’est qu’un des nombreux ouvrages de la sorte, imprimés en Angleterre au début du XVIIe siècle. Ces auteurs n’ont pas inventé les formules : elles remontent au moins à Léonard de Pise (dit « Fibonacci »), quatre siècles auparavant. Mais pourquoi ce calcul était-il si important à cet endroit et à cette époque ?
William Deringer raconte l’histoire dans Mr. Aecroid’s Tables: Economic Calculations and Social Customs in the Early Modern Countryside. Peter Dizikes en propose un bref aperçu dans MIT News.
Le problème est apparu à la suite d’une forte poussée d’inflation. Comme l’écrit Deringer :
Comparés aux prix de la décennie 1501-10, les prix moyens des denrées alimentaires en Angleterre étaient 3 fois plus élevés en 1551-60, 5 fois plus élevés en 1601-10, et 6,5 fois plus élevés en 1651-60. Il s’agit d’une rupture radicale par rapport à l’expérience antérieure, où les prix étaient généralement stables, voire en légère baisse entre 1400 et 1500.
Ainsi, les loyers payés par les fermiers sont restés à peu près stables pendant un siècle ou plus. Augmenter ces loyers aurait été considérée comme une agression sociale, et les fermiers auraient pu s’y opposer. Ils l’ont fait d’ailleurs, en manifestant et en saisissant les tribunaux. Mais avec l’inflation, les loyers nominaux sont devenus de plus en plus faibles. Les propriétaires fonciers, y compris l’Église d’Angleterre et les institutions ecclésiastiques telles que le Trinity College, étaient acculés. Les propriétaires ont réagi en augmentant les frais de conclusion ou de renouvellement d’un bail, appelés « fine » (amende). Le montant de ces « amendes » uniques était lié à la rentabilité de la terre sur le nombre d’années du bail, qui était elle-même déterminée par une combinaison d’expériences passées et d’études foncières.
Comme le souligne Deringer, la logique de l’offre et de la demande n’avaient pas pénétré pleinement l’Angleterre du XVIIe siècle. Les paiements étaient jugés en termes d’équité, compte tenu des rôles sociaux et des obligations des parties. Dans ce contexte, les livres de formules de valeur actuelle nette sont devenus la solution à un problème de négociation sociale auquel étaient confrontés les propriétaires terriens et les locataires. Le livre d’Acroyd de 1628 résolvait le problème. Deringer explique :
Ce [livre] arrangeait tant propriétaires que les locataires, tous à la recherche d’échanges équitables, prudents et honnêtes. Dans de tels conflits, les propriétaires et les locataires sont tentés de se rendre coupables de fraudes et tromperies (« fraus ») : les propriétaires, en exigeant des « amendes » exorbitantes ou en déployant des tactiques coercitives comme la vente de baux réversibles ; les locataires, en dissimulant la valeur de leur propriété ou en refusant aux propriétaires leur juste part par des appels déraisonnables à la coutume. Le calcul arithmétique limitait les pratiques frauduleuses.
En d’autres termes, ceux d’entre nous qui vivent à l’ère moderne ont tendance à considérer les formules de calcul de la valeur actuelle nette comme faisant partie de la prise de décision financière de tous les jours, ce qui est le cas. Lorsqu’un investisseur envisage d’acheter une action, il doit réfléchir au prix qui correspond aux revenus attendus de la détention de cette action au fil du temps, etc.
Mais au XVIIe siècle, la formule de la valeur actuelle nette remplissait une fonction sociale différente : la plupart des gens ne comprenaient pas les détails des mathématiques, mais ils comprenaient suffisamment l’idée de base pour croire que les mathématiques représentaient une règle qui imposait des limites au comportement opportuniste des deux parties.
Cette interprétation est à la fois vraie et incomplète, dit Deringer. Les taux d’intérêt spécifiques utilisés par Acroyd pour déterminer la valeur actuelle des paiements effectués par les « amendes » étaient assez élevés, de l’ordre de 11 à 13 %. Lorsque des taux d’intérêt relativement élevés sont utilisés pour actualiser des bénéfices futurs, la valeur actuelle de ces paiements sera relativement faible. Il s’est donc avéré que les riches de l’époque et les favoris politiques pouvaient louer des terres à l’Église d’Angleterre à ces taux préférentiels, au détriment des gens moins protégés.