Les banques commerciales françaises cotées sont valorisées par le marché à la moitié de leurs fonds propres. Ce niveau désespérant est très inférieur à celui des banques américaines, mais est également inférieur à celui des autres banques de la zone euro. Il y a là à la fois une dimension conjoncturelle, un aspect réglementaire et des traits spécifiques au marché français.,

En effet, la zone euro connaît une faible croissance économique depuis la crise financière de 2008, surtout au regard des États-Unis. Ceci ne favorise pas la situation financière de ses banques. Entre 2010 et 2023, le PIB des États-Unis a crû de plus d’un tiers, alors que celle de la zone euro s’établissait à 18 %. Et le proche futur semble ne rien laisser présager de changement : l’OCDE prévoit une croissance des États-Unis de respectivement de 2,7 % et 2,1 % en 2025 et 2026 quand les chiffres sont de 1 % et 1,4 % en zone euro. Le découplage économique semble devoir encore s’agrandir pour des raisons géopolitiques : accès à l’énergie, guerre en Ukraine et retard sur les nouvelles technologies.

Le graphique qui suit l’illustre parfaitement. Il met en évidence la relation positive classique entre la rentabilité des fonds propres ou ROE et le ratio Price-to-Book, rapportant la valeur boursière des fonds propres à leur valeur au bilan. La bonne rentabilité d’une banque se manifeste sur les deux indicateurs. Mais on voit sur le graphique à quel point les banques américaines de l’échantillon surclassent les grandes banques européennes.

 

Les exigences de capital réglementaire de la BCE, plus lourdes que celles qui pèsent sur les banques étatsuniennes accroissent encore le retard des banques européennes alors que le projet d’union bancaire est encore dans les limbes. La mise en place de Bâle III au 1er janvier 2025 aggrave encore le différentiel réglementaire car les États-Unis et la City de Londres repoussent son application de plusieurs années.

La valorisation boursière des banques cotées de la zone euro porte logiquement les conséquences de cet environnement peu porteur : la capitalisation des quatre premières banques était équivalente à celle de la première banque américaine en 2010, mais n’en représente plus que 40 % aujourd’hui.

Et vient le cas français en particulier. Le marché bancaire souffre ici, bien plus que dans les autres pays, de la pratique des taux fixes pour les crédits. Les crédits immobiliers constituent dans les bilans des banques françaises l’équivalent d’un considérable portefeuille obligataire à taux fixe ayant une duration élevée. Lorsque les taux montent, ce portefeuille se dévalorise. En cas de baisse des taux, à l’inverse, il ne se revalorise pas symétriquement car les emprunteurs ont le droit de rembourser par anticipation ou de renégocier le taux et les commissions liées aux remboursements anticipés ou aux renégociations sont loin de compenser.

Ainsi, la baisse récente des taux dans la zone euro a pu largement bénéficier aux banques européennes, à l’exception des banques françaises. La gestion de ce risque impose une anticipation des évolutions de taux…, c’est-à-dire de la spéculation en quelque sorte, dont on a pu constater les conséquences logiquement différentes sur chacun des groupes bancaires français

Dernier point, concernant uniquement les banques françaises cotées. Olivier Sampieri, partenaire au Boston Consulting Group, souligne que la France est le seul pays développé où la part du marché bancaire des banques mutualistes est supérieure à 50 % : soit 68,8 % en 2023, et en croissance de 3 points entre 2018 et 2023. Les banques commerciales cotées ne détiennent plus, selon ses évaluations, qu’un quart du marché en 2023 : la Société Générale détient 13,2 %, la BNPP, 11,2 %.

Signe des difficultés de concurrence, les banques étrangères ont toutes abandonné le marché français : HSBC a récemment dû payer pour se séparer du CCF. La raison de cette évolution, inquiétante à terme, est claire mais peu évoquée dans le débat public : les banques mutualistes françaises bénéficient d’avantages significatifs liés à leur statut au détriment des banques commerciales. Les banques mutualistes ne rémunèrent pas (ou si peu !) leur capital, elles ne peuvent faire l’objet d’une prise de contrôle par une banque commerciale alors que l’inverse est possible. Enfin, leur gouvernance est peu claire, même aux yeux de la BCE qui ne peut exercer facilement son contrôle sur les multiples établissements indépendants qui composent les groupes mutualistes. L’un des groupes mutualistes peut ainsi maintenir deux réseaux nationaux concurrents sans subir de pression pour rationaliser son dispositif.

La très faible valorisation des deux banques commerciales françaises par le marché a donc des raisons objectives et les perspectives d’amélioration sont faibles dans l’environnement déprimé que connaît l’économie du pays.