Il est usuel de séparer les styles d’investissement en deux grandes catégories : value et growth. L’investissement value consiste à repérer les entreprises dont les ratios de valorisation sont peu élevés, en espérant détecter des actions dont la valeur de marché est plus faible que la valeur intrinsèque. L’investissement growth privilégie pour sa part les actions des entreprises à fort potentiel de croissance, qui investissent beaucoup en recherche et développement, et qui présentent par conséquent des ratios de valorisation élevés. Nous présentons ce mois-ci un article qui tente de repérer les facteurs spécifiques aux investisseurs qui influencent leur style[1].

Dans cet article, les auteurs n’hésitent pas à proposer une explication partiellement biologique aux comportements d’investissement. Ils se fondent pour cela sur une méthodologie de recherche qui a été développée à la frontière de la biologie et des sciences sociales pour expliquer les comportements humains. Les démarches utilisées pour ces études et leurs conclusions ne font pas l’unanimité dans la communauté scientifique ; nous nous contenterons ici de décrire la méthode employée et ses résultats, laissant le soin au lecteur de se forger son opinion. L’autre partie de l’explication des comportements est recherchée dans les expériences de vie des investisseurs.

Pour la partie biologique, la méthode consiste à s’intéresser au comportement des jumeaux. Les jumeaux monozygotes (populairement appelés « vrais jumeaux ») partagent 100% de leur patrimoine génétique, alors que les jumeaux dizygotes (« faux jumeaux ») ne partagent en moyenne que 50%. Si l’on suppose que l’entourage (par exemple les parents) se comportent de la même façon avec les jumeaux monozygotes et dizygotes, et si les monozygotes ont un style d’investissement plus similaire entre eux que les dizygotes, alors on estimera qu’il y a une part biologique dans ces comportements. C’est effectivement ce qu’obtiennent les auteurs de l’étude. Pour y parvenir, ils s’appuient sur des données détaillées disponibles sur les jumeaux en Suède (Swedish Twin Registry). Leur base de données comporte plus de 10 000 jumeaux monozygotes et plus de 24 000 hétérozygotes, tous investisseurs sur les marchés d’actions. Ils utilisent comme indicateur du style d’investissement le ratio price-to-earnings (PER) moyen du portefeuille d’actions de l’investisseur. Un faible ratio est indicateur d’un style value, un ratio élevé d’un style growth. Ils obtiennent un coefficient de corrélation des PER de 0,49 pour les monozygotes et de 0,35 pour les dizygotes. D’autres mesures sont effectuées avec le ratio price-to-book (PB) et avec les investissements en fonds mutuels, avec des résultats semblables. Les auteurs concluent à l’existence d’une composante biologique dans les styles d’investissement.

Le reste de l’article s’intéresse aux caractéristiques individuelles (genre, âge, statut économique…) ainsi qu’à la partie acquise des comportements, liée aux expériences de vie. L’article est vaste et les résultats nombreux, citons ici simplement les plus notables. Le ratio PER moyen des investisseurs de 65 ans est 6 points plus faible (soit 39% de la médiane) que celui des investisseurs de 25 ans. Cet écart est considérable et compatible avec l’idée que les investisseurs jeunes ont un horizon d’investissement plus long, et que le style growth a tendance à être privilégié en cas d’horizon long. Concernant les expériences de vie, les individus qui ont grandi durant la Grande dépression (ceux qui sont nés dans les années 1920) ont une approche plus orientée value (ratio PER inférieur de 1,7 point).

Finalement, cet article tente de repérer un très grand nombre de facteurs explicatifs du comportement d’investissement. Il est difficile de conclure et de mesurer séparément chacun d’entre eux, mais les résultats indiquent que des facteurs spécifiques aux investisseurs peuvent contribuer à expliquer leur style, et que ces facteurs sont extrêmement nombreux. Il y a quelques années nous avions présenté dans cette chronique un article[2] établissant le lien entre le caractère des dirigeants d’entreprise et leur choix de financement. L’approche ici est comparable, mais porte sur les investisseurs individuels. Dans les deux cas, un lien statistique est établi entre caractéristiques individuels et comportement économique.

 

[1] H.CRONQVIST, S.SIEGEL et F.YU (2015), Value versus growth investing: Why do different investors have different styles ?, Journal of Financial Economics, vol.117-2, pages 333 à 349.

[2] « Choix de financement : une question de caractère ? », Lettre n°113 de mars 2013.

 

Article provenant de la Lettre Vernimmen.net, n°143, octobre 2016.

Avec la collaboration de Simon Gueguen, enseignant-chercheur à Paris-Dauphine.