Nous avons tous en mémoire les chiffres fortement erronés de la Grèce sur son niveau de déficit public et les interrogations sur le hors bilan de certains pays lors de la crise des dettes souveraines. Ces doutes ont légitimement accentué la nécessité pour les gouvernements européens de communiquer à EUROSTAT leurs statistiques de finances publiques de façon plus rigoureuse et transparente.

Ces données proviennent de systèmes de comptabilité nationale plus ou moins capables de répondre aux besoins d’informations macro-économiques sur l’ensemble du périmètre d’une économie nationale, c’est-à-dire non seulement l’Etat et les organismes dépendant de l’Etat, mais également les organismes de sécurité sociale, les collectivités territoriales et les établissements publics locaux. Il faut bien comprendre que la comptabilité générale est une source de données pour la comptabilité nationale, mais que cette dernière recourt également à des estimations globales sans lien direct avec l’agrégation de données comptables. Au sein de l’Europe, il est reconnu que notre pays dispose d’un système de comptabilité publique en droits constatés particulièrement robuste  et que la comptabilité nationale française fait plus appel à la comptabilité générale que d’autres pays recourant davantage à des données statistiques.

Au delà de ces questions de système, la directive européenne du 8 novembre 2011 sur les exigences applicables aux cadres budgétaires des Etats membres avait demandé à la Commission européenne une étude sur l’adéquation des normes IPSAS (International Public Sector Accounting Standards) à ces besoins d’harmonisation des comptes publics nationaux. L’IPSAS Board, organisme réputé indépendant de l’IFAC (Intenational Federation of Accountants), est en effet la seule organisation à édicter des normes comptables internationales pour le secteur public dans le but d’améliorer la qualité de l’information financière des entités du secteur public, à l’exception des entreprises publiques à statut commercial ou opérant dans un secteur concurrentiel.

Le 6 mars 2013, la Commission européenne a publié, sur la base de cette étude,  un rapport au Conseil et au Parlement européen « Vers l‘application de normes comptables harmonisées pour le secteur public des Etats membres – L’adéquation des IPSAS pour les Etats membres ». Dans ce rapport, la Commission propose d’approfondir la réflexion sur la mise en place de normes comptables européennes, dites « Normes EPSAS », utilisant les IPSAS comme un point de départ avec trois catégories :

  • normes IPSAS applicables sans modification notable ;
  • normes IPSAS dont l’application nécessiterait une adaptation ;
  • normes IPSAS devant être modifiées en vue d’une application en Europe.

Au delà de cet exercice d’évaluation de l’applicabilité des normes IPSAS en Europe animé par EUROSTAT, le Conseil de normalisation des comptes publics (CNoCP) n’a cessé de souligner l’absence de normes dans le référentiel IPSAS sur des sujets essentiels pour la sphère publique comme les avantages sociaux au sens de la sécurité sociale (avec notamment le sujet des retraites et des autres prestations sociales) et les dépenses de transfert , au sens aides et subventions (hors prestations sociales). Le CNoCP, ainsi que d’autres représentants d’Etats membres, regrettent également l’absence de responsables du secteur public au sein de l’IPSAS Board  capables d’appréhender les spécificités de la comptabilité publique.

Début 2014, le FMI, la Banque Mondiale et l’OCDE ont pris en considération les critiques ainsi formulées sur le défaut de légitimité et de pertinence de l’IPSAS Board. La solution pourrait passer par la mise en place d’une nouvelle gouvernance de cet organisme qui  se doterait d’organes de surveillance et de contrôle comportant des représentants du secteur public. La vérité oblige à dire que les discussions relatives aux principes et structures de gouvernance des normes EPSAS et à la mise en place de ces normes n’avancent guère. Selon le CNoCP, le projet suit son cours, malgré certaines réserves exprimées par les Etats membres sur le manque de clarté dans la finalisation de ce projet et des objectifs recherchés.

Conscient du retard pris, l’IPSAS Board a arrêté son programme de travail 2015-2019, prioritairement tourné vers les spécificités du secteur public et la gouvernance des normes IPSAS. Il a publié en juillet 2015 un papier de consultation important  « Recognition and Measurement of Social Benefits », avec des commentaires à adresser le 31 janvier 2016 au plus tard. D’autres papiers de consultation ou exposés sondages sont attendus avant la fin de l’année sur les « Public Sector Financial Instruments » et les « Public Sector Combinations ». Autant dire que l’IPSAS Board ne se contente plus de transposer servilement les normes IFRS au secteur public, mais affiche la volonté de s’attaquer enfin  aux vraies spécificités du secteur public.

Du côté européen, le Conseil ECOFIN, qui rassemble les ministres des finances des Etats  membres, sera inévitablement conduit à se pencher sérieusement sur cette question de normalisation européenne, avec des résultats qui ne seront pas forcément spectaculaires. Notre pays, attaché à l’exception comptable (cf. papier Vox-Fi « De l’influence du souverain sur la comptabilité publique »), est réservé sur une normalisation issue des IPSAS. L’Allemagne, dont les comptes publics ont le mérite d’être à l’équilibre, n’est pas pressée de contraindre tous ses « lands » et administrations fédérales à passer rapidement d’une comptabilité fondée sur une base de caisse aménagée à une comptabilité d’exercice en droits constatés…

A défaut de normalisateur européen, peut-être verra-t-on surgir, dans quelques années, un normalisateur international indépendant, comme l’a fait l’IASC en 1973 pour les normes privées en sortant du giron de l’IFAC ? Pourquoi pas avec une procédure d’adoption des normes IPSAS par la Commission européenne comparable à celle en vigueur pour les normes IFRS ? L’histoire de la normalisation comptable publique européenne et internationale reste à écrire.