Un intéressant papier du Financial Times interpelle le patron de Barclays, la grande banque universelle britannique. N’est-il pas temps de considérer une séparation entre la banque commerciale et la banque d’investissement ? L’affaire des bonus a bien-sûr fortement marqué l’opinion britannique, désormais plus chatouilleuse sur ces sujets : une forte hausse pour les traders au moment où la banque licencie et où ses profits sont en forte baisse.

Mais plus profondément, le cours boursier se traîne par rapport au secteur et a baissé de 20% depuis un an. Le price-to-book est à 0,8X [on rappelle que les mots financiers de Vox-Fi sont définis dans le lexique financier du Vernimmen, NDLR].

Le verdict des marchés semble dès lors appeler à un démembrement de Barclays : une évaluation indépendante valorise la seule banque de détail à 30 Md£, soit 12X les profits. Ce chiffre laisse, au cours boursier d’aujourd’hui, une valorisation de 8 Md£ seulement pour la partie banque d’investissement.

Le break-up que suggère le FT consisterait non pas à séparer intégralement les deux branches de la banque, mais pour Barclays à mettre en bourse la partie banque commerciale. Cela aurait le mérite d’apporter de l’argent frais à la maison mère qui garderait à 100% les activités de marché et qui pourrait montrer au régulateur des ratios de bilan parmi les plus solides du secteur.

Qu’on retienne ou non ce mode de séparation, cette analyse s’applique tout autant à Deutsche Bank, et peut-être aussi aux banques françaises. C’est en tout cas ce que préconise depuis longtemps l’analyste Christophe Nidjam, d’Alpha Value.

 

Quand le régulateur agit indirectement

Il faut prendre conscience du jeu de la régulation sur cette question des banques universelles. On sait qu’il y a des demandes fortes, par exemple le rapport Vickers au Royaume-Uni, pour que le régulateur réinstaure une sorte de Glass-Steagall, cette loi qui prévalait aux États-Unis jusqu’aux années 90 et qui obligeait à séparer banque commerciale et banque d’investissement. Il y a peu de chance qu’elles soient écoutées. Mais le faut-il ?

Parce que, subrepticement, la régulation a évolué dans un sens qui rend beaucoup moins attractif le mariage des deux métiers sous un même toit :

  • Les exigences en fonds propres pour la banque d’investissement se sont fortement accrues (d’un facteur entre 5X et 10X). Par exemple, un énorme arbitrage réglementaire a disparu, celui consistant pour la banque commerciale à titriser ses portefeuilles de crédits pour les faire racheter sous forme de titres de créances négociables, justifiant de ratios de fonds propres considérablement moindres. On sait ce que cet effet de tourniquet a coûté en stabilité financière au moment de la crise des subprimes.
  • Les ratios de liquidité restreignent fortement l’avantage qu’avait la branche d’investissement de se fournir en liquidités pas chères auprès de sa sœur banque commerciale (ce qui vertueusement oblige les desks de trading à donner l’attention nécessaire à leur funding, un souci qui aurait évité des mésaventures du type Kerviel).

Autrement dit, les synergies purement financières à l’inclusion se sont fortement réduites. Plus exactement, le régulateur arrête progressivement de subventionner le modèle bancaire « universel ». Ne reste alors que les synergies industrielles : quelle est la valeur créée, une fois qu’on oublie les avantages du côté du passif du bilan, à associer les deux métiers ?

Les marchés semblent répondre : elle est faible. De fait, à y réfléchir, le cas n’est pas évident. Pas grand-chose à attendre du côté du marché du travail, les logiques de rémunération des deux métiers étant à des années-lumière. Plus grand-chose du côté de l’asset management, à preuve le fait que les grandes banques, sensibles aux conflits d’intérêt, se sont déjà souvent séparés de ces métiers. Rien pour la banque de particuliers. Restent les activités bancaires auprès des grandes entreprises, où il est souvent utile d’avoir la palette complète des services.

Mais tout ça se discute. Pascal Quiry et Yann Lefur soutiennent efficacement dans Vox-Fi le cas de l’inclusion. Jérôme Cazes, dans les mêmes colonnes, l’inverse. Au fond, ce sera pragmatiquement aux marchés d’en juger, au cas par cas, en faisant initialement crédit aux dirigeants bancaires qui disent avec force – c’est le cas pour les dirigeants des banques françaises – qu’il y a une forte valeur industrielle à l’inclusion.

Il me semble qu’il y a là une leçon à tirer pour la régulation bancaire. Elle peut (et doit quand il le faut) s’insérer brutalement dans l’organisation industrielle du secteur. Concernant le sujet de la séparation banque d’investissement et banque commerciale, la mise en œuvre directe peut être violente et suppose d’être capable de faire le partage précis de ce qui va d’un côté et ce qui va de l’autre. On voit déjà sur le cas américain et anglais les milliers de pages juridiques que cet exercice de manitou industriel oblige à inclure dans une éventuelle loi.

L’approche plus pragmatique, et à mon sens celle qui doit caractériser la régulation moderne, consiste pour l’État :

  • à aménager le terrain de jeu de sorte que toutes les subventions implicites soient supprimées ;
  • et à donner les bonnes impulsions dynamiques vers un but donné. Un bon exemple consiste à exiger davantage de fonds propres pour les « grands » établissements, pour prendre en compte le coût de l’assurance systémique que l’État leur apporte (ce dernier croît plus que proportionnellement en fonction de la taille). Si ce coût est pris en compte, il en résulte une logique financière forte à ne pas trop faire croître le bilan des banques ;
  • et sur cette base, laisser jouer la dynamique industrielle.

On ne voit pas en effet ce qui empêcherait les actionnaires de s’apercevoir du bien ou mal-fondé d’une association industrielle. Ils semblent le faire pour Barclays. Cela fait partie de la vie normale d’une économie développée. Régulation et marché ne sont pas antagoniques, le premier peut mettre le second à son service.