En cette période de clôture des comptes, les entreprises sont confrontées comme chaque année à la question de la dépréciation ou non des goodwills. Cette problématique devient cependant particulièrement complexe puisque les paramètres internes (plans d’affaires) et externes (taux sans risque, prime de risque) de valorisation ont fortement évolué.

En quelques mois, les perspectives de croissance et de marge à court terme des entreprises se sont réduites. Cette anticipation de dégradation touche beaucoup de zones géographiques (y compris désormais des pays émergents pour au moins quelques trimestres) et une large partie des secteurs, les plans d’affaires des sociétés (et en particulier ceux des sociétés acquises ces dernières années) ont dû logiquement être impactés.

Par ailleurs, même si le taux sans risque a marginalement baissé (le taux du bund est passé de 3 % en décembre 2010 à 1,80 % actuellement), la prime de risque a de son côté sensiblement augmenté : d’environ 6,5 % au premier semestre 2011 à environ 9,5 % au second semestre 2011 selon Associés en Finance(1). Même si nous sommes sensibles à la position de ne pas retenir une prime spot (plus de 9 %) reflétant une crispation certainement non durable des investisseurs, il ne nous semble pas raisonnable d’anticiper que la prime de risque puisse, même à moyen terme, retrouver son niveau moyen des années 1990 (3,90 %). Le coût des capitaux propres a ainsi de manière certaine augmenté significativement sur le long terme :

Les marges actuarielles sur les emprunts ne sont pas prêtes non plus de revenir à leurs niveaux de 2005 : 10 ou 20 points de base pour les meilleurs groupes (pincez-vous ! et pourtant c’était vrai (2)). Comme le niveau d’endettement des groupes ne va pas augmenter dans le futur, au contraire dans cette nouvelle ère de désendettement généralisé, nous devons en conclure que le coût du capital moyen a bel et bien augmenté… passant en moyenne en Europe de l’ordre de 8 % à, au moins, 9 %. Ceci est cohérent avec les prévisions du McKinsey Global Institute (3) s’attendant à une hausse du coût du capital de l’ordre de 1,5 % en raison d’une pénurie d’épargne dans le monde eut égard à l’importance des investissements à réaliser.

La combinaison d’un coût du capital plus élevé et de plans d’affaires revus à la baisse, au moins pour les résultats des années les plus proches(4), conduit immanquablement à des valorisations plus faibles… La division par 2 des valeurs boursières en 5 ans n’en est que le reflet.

Dans ce contexte, il nous semble difficilement défendable de conserver l’ensemble des goodwills intacts ! Une petite partie du travail de dépréciation a déjà commencé à être faite, mais le plus gros est juste devant nous. Au 30 juin 2011, le goodwill des groupes du CAC 40 représente 336 Md€, soit 18 % de leurs actifs totaux(5). Bien entendu, ce constat est global, et une analyse fine réalisée au niveau de chaque groupe montrera des résultats différents de groupes à groupes, et au sein de chacun d’entre eux des dépréciations touchant certaines divisions et pas d’autres.

À titre de vérification, il convient de noter que 53 % des groupes du CAC 40(6) ont actuellement une rentabilité économique après impôt inférieure à leur coût du capital. Or le goodwill a justement pour fondement la capacité à dégager une rentabilité supérieure au coût du capital(7). Si celle-ci n’est plus durablement au rendez-vous, on peut logiquement douter de la valeur de ces goodwills.

Nous ne pouvons pas en déduire directement que la rentabilité économique de chacune des divisions porteuses de goodwill de ces groupes est inférieure au coût du capital, ni même que, si elle l’est aujourd’hui, elle le restera à moyen terme (les marges étant proches de leurs plus hauts historiques, les gains de rentabilité économique vont être chers à l’avenir !). Mais c’est un indice de plus pour conclure que nous devrions en toute logique observer des dépréciations des goodwills de ces groupes(8).

Cela dit, même si une dépréciation du goodwill dans le cadre des normes comptables IFRS nous semble pleinement justifiée, notre raisonnement de financiers nous fait penser que ce devrait être un non-événement pour les investisseurs. En effet, la baisse générale des valeurs est connue et se reflète dans les cours de bourse. Les investisseurs qui ont lu leur Vernimmen(9) savent que la dépréciation du goodwill est à la fois une charge non récurrente et non cash, ce qui les conduira à la retraiter dans leur analyse financière.

L’impact en termes politiques est une question différente sur laquelle nous ne disserterons pas longtemps, mais alors que beaucoup d’entreprises restructurent, licencient ou gèlent les embauches, une année de résultats dégradés ne nuira certainement pas à leur image…

Nous pensons que ne pas déprécier, 4 ans et demi après le début de la crise, des goodwills de plus en plus difficiles à justifier raisonnablement constitue une erreur de management. Ainsi serait accréditée l’idée que les documents comptables présentés ne sont pas fiables. Nous pensons même qu’une dépréciation des goodwills sera vue comme un signe de bonne gestion présente(10) plutôt que comme un aveu tardif de mauvaises décisions passées (personne n’avait prévu la crise que nous subissons, les investisseurs encore moins que les autres !).

Est-ce un hasard si les groupes les plus concernés combinant des goodwills importants et des rentabilités économiques inférieures au coût du capital depuis plusieurs années, ont vu sur les derniers trimestres leurs cours baisser beaucoup plus fortement que le marché ? À l’évidence non !

Alors à vos dépréciations.

Merci.

(1) Source la plus fiable de notre point de vue.

(2) Voir La Lettre Vernimmen.net n° 30 de juillet 2004.

(3) Farewell to cheap capital décembre 2010

(4)qui sont celles qui comptent le plus dans la valeur car la mécanique inexorable de l’actualisation n’a pas encore produit ses effets

(5) Pourcentage hors financières

(6) Hors financières. Ce chiffre reste de 36 % si l’on se projette en 2013.

(7) Pour plus de détails, voir le chapitre 7 du Vernimmen 2012.

(8) Le goodwill des groupes (hors financières) conservant une rentabilité économique inférieure à leur coût du capital en 2013 représente près de 100 Md €.

(9) Page 119 dans l’édition 2012.

(10) Les crises se sont prolongées lorsque les acteurs ont différé la constatation de celles-ci dans leurs comptes. L’enlisement du Japon en est certainement une illustration.