Vers une taxation minimale sur les bénéfices pour les multinationales ?
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En matière de fiscalité des sociétés, il y a le taux légal d’IS (qui va passer prochainement à 25 % en France, qui est passé de 35 à 21 % aux États-Unis) et il y a le taux effectif, celui que paient effectivement les sociétés. Lorsqu’elles opèrent dans différentes juridictions, les sociétés (qu’on appelle alors multinationales) ont toute possibilité de minorer ce taux par divers moyens, le plus efficace étant de faire basculer les profits d’un pays à fort IS vers un autre à faible IS.
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Dans une étude récente, « Minimum taxation as the new normal » publiée sur Vox-EU, un groupe d’économistes a calculé le taux effectif de taxation à l’IS pour un large ensemble de sociétés cotées (à partir de la base de données Compustat), en moyenne sur plusieurs années pour éviter les accidents ponctuels. Le graphique de la semaine présente ces taux pour certaines industries dont le siège social est aux États-Unis ou en Europe. Par référence, le taux légal moyen en Europe est de 21,7 % en 2019 et, comme on l’a dit, de 21 % depuis 2017 aux États-Unis.
Graphique : Taux effectif de taxe (à long terme) selon certaines industries
Note : Le taux effectif de taxation à long terme est calculé comme la somme de l’impôt acquitté en cash sur une longue période de 5 ou 10 ans divisée par la somme des revenus avant impôt sur la même période.
D’une manière générale, on voit que les taux effectifs sont plus bas aux États-Unis qu’en Europe, qu’ils ont plutôt décru sur les cinq dernières années aux États-Unis, et crû en Europe. On note, anecdotiquement, que l’industrie des croisières maritimes, qui fait parler d’elle en ce moment, arrive en pratique, Europe et États-Unis confondus, à ne payer quasiment pas d’impôt. Au total, toutes industries confondues et en se limitant à la seule France, on estime que la perte fiscale est comprise entre 5 et 10 Md$.
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Il est utile ici de se tourner vers la réforme fiscale votée par le Congrès américain en 2017, dite réforme Trump bien qu’elle soit en fait largement conçue et poussée par les lobbies proches du Parti républicain. Elle a fait beaucoup parler d’elle pour avoir singulièrement abaissé les impôts des « riches », mais on sait moins qu’il s’agit d’une réforme que les économistes jugent en majorité plutôt bien fondée s’agissant de la fiscalité des entreprises (sous la réserve forte sur l’opportunité d’abaisser à ce point le taux d’IS sans relever en conséquence le taux d’impôt sur les revenus financiers tirés des entreprises).
Ainsi, l’une des clauses votées indique que toute entreprise multinationale opérant aux États-Unis doit acquitter un taux d’impôt minimum. Ce taux est compris aujourd’hui entre 10,5 % et 13,125 %. Précisément, le profit consolidé que la multinationale remonte de ses filiales étrangères ne peut au total échapper à ce taux d’imposition minimal. S’il est en dessous, le fisc américain a le droit de prélever la différence.
Il faut noter que les États-Unis ont pu mettre en place cette mesure de façon unilatérale. C’est évidemment plus dur pour un petit pays, a fortiori un paradis fiscal, qui risque de voir ainsi de voir fuir les multinationales existantes et stopper l’établissement sur son sol de nouvelles. On devine en Europe que Irlande et Pays-Bas sont à la bataille pour bloquer une telle discussion.
Et pourtant, voici un aménagement fiscal relativement simple. La règle serait qu’aucune société étrangère affiliée ne pourrait échapper à un taux d’imposition minimal, en déclarant ses opérations dans un pays dont le taux d’IS serait inférieur, a fortiori dans un paradis fiscal. Si son taux d’imposition effectif tombe en dessous de ce minimum, les pays où se déroule l’activité économique réelle auraient le droit de taxer la différence. L’imposition minimale éliminerait ainsi l’incitation à la planification fiscale agressive.
La discussion porterait bien sûr sur le taux (l’étude citée recommande 20 %) et la définition de ce qu’est l’activité économique réelle, un sujet qu’on sait difficile. La définition de paradis fiscal pose également quelques difficultés : serait-ce le pays dont le taux effectif est inférieur à ce taux minimum ? Probablement, mais que faut-il penser alors de certaines mesures fiscales spécifiques telles que le CIS (crédit impôt recherche) ou CICE en France ?
Mais des solutions existent très probablement à tous ces points si le débat public est lancé.
Cet article a initialement été publié sur Vox-Fi le 22 avril 2020.