Vivre dans l’imperfection : « Le Capitalisme idéal » par Nicolas Bouzou
Dire d’un livre qu’il se lit vite n’est en général pas très flatteur. A tort. Une dame faisait la remarque à Einstein qu’il dormait peu. « Je ne dors pas peu, Madame, je dors vite ! » lui répondit-il. Il en va pareillement de certains livres. Le bon ratio à calculer est le rapport entre le contenu de la lecture, disons en mégaoctets d’informations reçues, et le temps mis à l’absorber. Faire un bon score dépend de plusieurs facteurs : être court, ce qui est le cas de cette nouvelle collection ouverte par l’éditeur Eyrolles : « Le capitalisme en mouvement », sur un format de 115 pages au total ; le livre de Nicolas Bouzou en fait partie (et Bouzou dirige la collection). Puis aussi : savoir concentrer le contenu, qu’il vous soit déjà familier, c’est-à-dire qu’il corresponde à des préoccupations de chacun, le rendre accessible, faire que l’exemple ou l’anecdote ne soient pas sujet à digression, mais allument la réaction cérébrale. Quelle barbe que ces auteurs qui poussent leurs exemples et les tirent tout à la fois ; ou ceux qui se réfugient dans l’abstrait, pas un exemple, pas une illustration. Toute cette masse d’« essais » à la française qui encombre les étals des libraires, écrits sur 250 pages à l’encre molle.
A tous ces titres, le dernier livre de Nicolas Bouzou tape déjà un joli score. Ajoutons peut-être le plus important : le style. La plume est joyeuse, alerte, les phrases courtes, sautant d’idée en idée au rythme de chapitres très courts et très balancés.
Sur le fond, preuve encore de sa concision, la force du livre se lit déjà dans son titre, très oxymorien. Bouzou montre le capitalisme comme un organisme (social) vivant, c’est-à-dire adaptatif, multiforme, réagissant aux circonstances, se remettant constamment en question selon les contraintes. « Le capitalisme [… est] une organisation du moindre mal, c’est-à-dire de l’imperfection. » (p. 91), phrase qui pourrait s’appliquer à tout système vivant. On peut rêver d’un bon capitalisme, le rêve faisant partie du processus d’évolution. Mais avant tout, le capitalisme est et s’adapte. Il n’y a pas de capitalisme idéal. Il n’y a pas un « système » capitaliste qu’on chercherait à mettre en place. L’auteur est donc dans cette tradition libérale réticente à voir qu’un système d’organisation sociale ou économique puisse être conçu a priori, comme on le ferait d’un plan d’urbanisme (les villes les plus belles supposent un bon urbanisme, mais rarement un plan d’urbanisme exhaustif et systématique. Celles qui sont sorties d’esprits démiurges, totalitaires, Brasilia par exemple, ne sont pas des lieux bien agréables à vivre).
Il en va de l’organisation de la vie politique comme de la vie économique. La citation ci-dessus est d’ailleurs tronquée. Elle se lit complètement ainsi : « Le capitalisme et la démocratie sont des organisations du moindre mal, c’est-à-dire de l’imperfection. » Bouzou défend avec vigueur la marche conjointe d’une démocratie active et d’un capitalisme performant. Le socialisme d’État, tel qu’illustré par l’Union soviétique ou par la Corée du Nord, exemples sur lesquels s’attarde Bouzou, est à la fois démiurgique dans son organisation économique et dans son organisation sociale. Et cela n’a pas marché et a entraîné les déviations les plus exécrables, plus besoin de le prouver. Justement, cela permet, nous dit Bouzou, d’arrêter de penser le capitalisme par opposition à un autre système économique, existant ou idéalisé. C’est la fin, sinon de l’histoire, du moins de cette histoire. Et c’est libérateur, parce que cela permet enfin de s’approprier les vrais débats, de les mener au sein du capitalisme, par exemple sur la place de l’éthique, de la démocratie, de l’égalité des conditions, de la question des ressources rares, de la vie intellectuelle et spirituelle…, autant de choses qui peuvent modestement permettre de le faire avancer, pas à pas, vers plus d’efficacité, de justice et de sollicitude.
Ajoutons pour finir que Nicolas Bouzou est membre du comité éditorial de ce blog, ce qui est une distinction à la fois pour le blog et pour lui.
Donc au total un bouquin à lire.