NDLR : Nous publions le deuxième épisode d’une série sur l’innovation managériale et le management de la performance.

 

Dans l’épisode précédent, on a vu le contexte dans lequel le budget, véritable modèle hégémonique de management de la performance entre 1920 et 1995, a été remis en cause.

 

5 février 2018, le jour du VUCA…

VIX – “l’indice de la peur”

 

« Appelez cela Lundi Noir Acte II, appelez cela le Dow qui se comporte comme le bitcoin. Les faits sont que le S&P 500 a perdu plus de 1.000 milliards de dollars de capitalisation boursière en un mois »[1], commente Naeem Aslam, analyste chez Think Markets, au soir de cette journée folle qui a vu le Dow Jones chuter de plus de 1000 points (même 1500 points au plus bas en intra-day), soit la plus forte baisse en une séance de son histoire. Simultanément, le VIX, le volatility index du Chicago Board Options Exchange, crûment rebaptisé “indice de la peur”, est multiplié par trois. Ce 5 février sur les marchés financier semble résumer le VUCA, volatility-uncertainty-complexity-ambiguity, un des deux éléments qui change la donne du management de la performance.

Pour la volatility, il s’agit de l’ampleur de la chute mondiale des indices boursiers en total rupture avec la hausse régulière et constante observée pendant les 9 derniers trimestres. S’agissant de l’uncertainty[2], la hausse de la quote boursière précitée pouvait ressembler à un raid de guérilleros surdosés en tequilla, en contre-sens sur une autoroute, la nuit et tous phares éteints. Les acteurs des marchés financiers semblaient ainsi ignorer la fragilité de leurs modèles face :

  • au potentiel disruptif de Donald Trump, dans le domaine du protectionnisme comme dans celui de l’ingérence dans le monde des affaires américain ;
  • aux risques pour la croissance mondiale induit par les tensions internationales, en plus des confrontations USA – reste du monde;
  • à l’inconnue liée aux effets macro-économiques d’une hausse des taux.

La complexity se mesure lorsque la Banque des Règlements Internationaux estime que l’explosion du marché des produits dérivés du VIX à effet de levier fait prendre des risques “énormes”[3]. L‘ambiguïty réside quant à elle dans les suspicions des gendarmes de la bourse (SEC) et des des produits dérivés (CFTC), aiguillonnés par un lanceur d’alerte, sur la validité des informations utilisées pour le calcul du VIX, ou encore le fait que des instruments de couverture contre la volatilité se transforment en “générateur” de volatilité.

 

Depuis Wall Street, retour à la “chute du mur”

Le VUCA n’est pas né dans le monde des marchés financiers. C’est Robert M. Murphy[4] qui forge en 1996 cet acronyme pour un manuel de stratégie l’US Army War College. Face à la dissolution de l’URSS à la fin des années 80 et avec elle la fin d’un monde structuré par l’antagonisme Est / Ouest, les militaires sont aux premières loges pour mesurer l’ampleur du changement de paradigme. Alors que les professeurs de Carlisle Barracks parlent de révolution[5], les civils préfère parler de “disruption”,

En France, la volatilité, l’incertitude et l’ambiguïté sont considérés comme des attributs de la complexité, que l’ingénieur centralien Jean-Louis Le Moigne, dans une démarche de recherche opérationnelle au sein de la société Shell, aborde en 1990 par la modélisation des systèmes complexes[6], en prolongement de sa théorie des systèmes.  Ces travaux font un parallèle dans le monde de l’entreprise avec ceux d’Edgar Morin[7] publiés la même année sur le plan sociologique et philosophique. Tous les deux reconnaissent dans le digital un archétype de notre complexité contemporaine.

 

Le digital, le cinquième élément

L’exemple des armées est, là encore, caractéristique de la révolution du digital, qu’elles ont directement contribué à créer 25 ans plus tôt, quand par exemple la DARPA[8] finance les travaux sur l’intelligence artificielle de Marvin Minsky à partir de 1962, ou encore ceux d’ARPANET, l’ancêtre d’internet mis en service en 1969. Tout en étant une technologie indispensable (commandement, fonctionnement des systèmes d’armes…) dans les quatres domaines préexistants (la terre, la mer, l’air et l’espace),  le digital constitue aussi un nouveau domaine d’opérations à part entière : propagande, blocage d’installations ou d’organisations d’intérêt vital[9].

Pour les entreprises,  l’effet stratégique du digital reste encore difficile à mesurer. Pourtant il présente la même dualité : les fonctions  technologiques, à travers son système d’information,  et un domaine où elle rencontre ses fournisseurs,  sa concurrence et surtout ses clients. En effet les principaux bénéfices de la digitalisation découlent de l’amélioration de la customer experience (CX)[10]. Les Chief Data Officer ont dans leur agenda  cette CX voir la co-création de produits avec les clients[11].

Face au quintet Volatility-Uncertainty-Complexity-Ambiguity + Digital, l’entreprise n’a d’autre choix que de faire sa révolution…

 

[1] Etienne Goetz, “Trois graphiques pour mesurer la violence de la correction”, Les Echos, 6/2/2018.

[2] On peut aussi relire la reprise dans Vox-Fi du flash éco de l’AFEP de février 2017.

[3] BIS Quarterly Review, The equity market turbulence of 5 February – the role of exchange-traded volatility products,  March 2018.

[4] d’après WHITEMAN, Wayne E. dans Training and Educating Army Officers for the 21st Century: Implications for the United States Military Academy. ARMY WAR COLL CARLISLE BARRACKS PA, 1998.

[5] METZ, Steven. Strategy and the Revolution in Military Affairs: From Theory to Policy. DIANE Publishing, 1995.

[6] LE MOIGNE, Jean-Louis. La modélisation des systèmes complexes. Paris: Bordas, Dunot, 1990, 1990.

[7] MORIN, Edgar. Introduction à la pensée complexe. Le Seuil, 2015.

[8] DARPA : Defense Advanced Research Projects Agency.

[9] « Antony Dabila, Évolution du paradigme cyber et intégration cyber-tactique, Revue Défense Nationale, Janvier 2018 p.49-54.

[10] FITZGERALD, Michael, KRUSCHWITZ, Nina, BONNET, Didier, et al. Embracing digital technology: A new strategic imperative. MIT sloan management review, 2014, vol. 55, no 2, p. 1.

[11]HORLACHER, Anna et HESS, Thomas. What does a Chief Digital Officer do? Managerial tasks and roles of a new C-level position in the context of digital transformation. In : System Sciences (HICSS), 2016 49th Hawaii International Conference on. IEEE, 2016. p. 5126-5135.