Au début de 2008, Berkshire Hathaway, le conglomérat dirigé par Warren Buffett, a créé BHAC, un assureur financier des obligations émises par les Etats, municipalités et autres entités locales américaines, ce qu’on appelle un monoline ou un rehausseur de crédit. Voici le conseil de prudence que Warren Buffett donnait à ses actionnaires dans sa Lettre sur les comptes de 2008 de Berkshire Hathaway.

En fin d’année 2007, la demi-douzaine de sociétés qui avaient été les principaux acteurs dans ce secteur des monolines étaient toutes en grande difficulté. La cause de leurs problèmes a été résumée il y a bien longtemps par Mae West : « J’ai été Blanche Neige, mais j’ai dérapé. »

Les monolines n’ont assuré tout d’abord que les obligations publiques à statut fiscal avantageux, qui étaient à faible risque. Mais au fil des ans, la concurrence s’est intensifiée et les taux de prime ont chuté. Face à une perspective de recettes stagnantes ou en baisse, les dirigeants des monolines se sont engagés dans des propositions de plus en plus risquées.

Le raisonnement derrière les taux de primes très faibles était que les défauts se révélaient historiquement très bas. Mais cette performance reflétait en grande partie l’expérience des municipalités qui émettaient des obligations non assurées. Il faut rappeler que l’assurance financière des municipalités n’existait pas avant 1971, et même après, la plupart des obligations municipales restaient sans assurance.

Un univers d’obligations municipales entièrement couvertes par l’assurance aurait, à coup sûr, une expérience de défaut différente d’un univers identique en tout point, sauf qu’il serait assuré. La question est : à quel point sont-ils différents. Pour le voir, revenons en 1975 quand New York était au le bord de la faillite. A cette époque, ses obligations – pratiquement toutes non-assurées – étaient largement détenues par les plus riches habitants de la ville ainsi que par les banques de New York et d’autres institutions. Ces porteurs d’obligations locales désiraient ardemment que la ville résolve ses problèmes budgétaires. Donc, très vite, des concessions et de la coopération entre la multitude d’intérêts concernés ont permis d’aboutir à une solution. Sans cela, il est évident que les citoyens et entreprises de New York auraient eu à subir des pertes larges et sévères sur leurs avoirs en obligations.

Maintenant, imaginez que toutes les obligations de la ville aient été assurées par Berkshire. Aurait-on assisté à un tel serrage de ceinture, à de telles hausses d’impôt, à de telles concessions syndicales, etc. ? Bien sûr que non. Au minimum, on aurait demandé à Berkshire de prendre sa part des sacrifices nécessaires. Et, compte tenu de nos poches profondes, la contribution demandée aurait très certainement été substantielle.

Les gouvernements locaux vont demain devoir faire face à de bien plus sévères problèmes que ce qu’ils ont eu à ce jour. Leurs engagements de retraite contribueront énormément à leurs malheurs. (…) L’écart entre l’actif et une évaluation réaliste actuarielle du passif actuel est tout simplement vertigineux.

Lorsqu’ils sont confrontés à de fortes chutes de revenus, les collectivités locales qui ont leurs obligations assurées seront enclines à trouver des « solutions » moins favorables aux porteurs d’obligations que celles dont les obligations sont non assurées et détenus par les banques locales et les résidents. De plus, les pertes dans ce segment des obligations municipales, quand elles viendront, ont toute chance d’être fortement corrélées entre elles. Si quelques collectivités se raidissent face à leurs créanciers et arrivent à s’en sortir, il y a de fortes chances que d’autres les imitent. Quel maire ou quel conseil municipal choisira de faire souffrir ses contribuables plutôt qu’un rehausseur de crédit éloigné ?

Assurer les obligations municipales est donc plutôt un métier dangereux aujourd’hui, un métier qui ressemble à celui de l’assurance des catastrophes naturelles. Dans les deux cas, une série d’années sans perte peut être suivie par un sinistre dévastateur qui efface tous les bénéfices passés.

Le type de sophisme consistant à projeter en matière de pertes un univers d’obligations non-assurées sur un univers faussement identique dans lequel de nombreuses obligations sont assurées est commun à d’autres domaines de la finance. Les modèles qu’on simule sur données passées conduisent à ce genre d’erreur. Pourtant, on vante ces modèles en tant que guides pour l’action future sur tous les marchés financiers. (Si regarder les données financières du passé suffisait à vous dire ce que réserve l’avenir, le Forbes 400 serait composé de bibliothécaires.)

Ainsi, les pertes étourdissantes dans le secteur des subprimes sont venues en grande partie des lacunes des modèles basés sur données historiques qu’utilisaient les vendeurs, les agences de notation et les investisseurs. Ces gens recensaient les défauts enregistrés lors des périodes où les prix des maisons n’augmentaient que modérément et où la spéculation sur les maisons était négligeable. Ils se sont servis de cette statistique comme guide pour estimer les pertes futures. Ils ont béatement ignoré le fait que les prix des maisons avaient récemment monté en flèche, que les pratiques de prêts s’étaient détériorées et que de nombreux acheteurs achetaient des maisons sans en avoir les moyens.

En bref, l’univers « passé » et l’univers « présent » n’avaient plus rien à voir. Les prêteurs, le gouvernement et les médias n’ont pas su prendre conscience de cette réalité.

Les investisseurs devraient se méfier des modèles basés sur un historique. Construits par une secte ringarde qui utilise des termes ésotériques tels que les bêta, gamma, sigma et autres, ces modèles impressionnent. Mais trop souvent, les investisseurs oublient d’examiner les hypothèses derrière les symboles. Notre conseil +-: méfiez-vous des petits génies qui vous écrivent des formules.