Bermann Sylvie, Goodbye Britannia. Le Royaume-Uni au défi du Brexit, Stock, 259 pages.

Les carnets d’ambassade de Sylvie Bermann relatent la perception du Brexit par une des plus éminentes diplomates françaises, première femme en poste à Pékin, à Londres et à Moscou. Ses missions successives lui ont permis d’être à la fois une actrice et une observatrice privilégiée d’événements historiques : l’avènement de XI Jinping, le rapprochement sino-russe, le « pari du Global Britain au risque du Little  England »… Elle raconte dans un style très « british », la « nuit sans sommeil » du referendum sur le Brexit (23-24 juin 2016). Elle décrit la stupeur des britanniques à la nouvelle totalement imprévue du vote de défiance contre l’Union européenne. Elle souligne les erreurs de David Cameron, les maladresses de Theresa May et les « mensonges » de Boris Johnson. Elle dénonce les réflexes xénophobes des anglo-saxons au lendemain du vote et le « chaos politique » qui a suivi, pendant trois ans et demi, afin de négocier la rupture avec le Vieux continent. Elle montre que le Brexit a divisé autant les anglais que l’affaires Dreyfus avait séparé les français. Elle doute des chances du Global Britain de relancer son économe. Elle avoue ne pas comprendre l’attraction des britanniques pour un si « splendide isolement ». Elle montre l’attachement des anglais à la famille royale, qui a pour contrepartie son exceptionnelle exposition médiatique. Forte de son expérience internationale, elle perçoit dans le Brexit le symptôme prémonitoire d’une profonde crise des démocraties représentatives. Elle se livre enfin à un magistral exercice d’anticipation des rapports entre les quatre principales puissances mondiales : les États-Unis, la Chine, la Russie et l’Union européenne.

Sylvie Bermann met son style à la fois vif et élégant au service de sa vaste culture et de son sens psychologique aigu.

 

Cohen E., Robert R., La valse européenne, Fayard, 478  pages.

La Valse européenne constitue le nouvel ouvrage de référence de l’histoire récente de l’Union européenne et de l’Eurozone. Le livre est construit suivant un rythme ternaire. Son titre évoque les trois temps de la valse, ceux des  incertitudes face aux crises puis des réveils  et des espoirs. Sa structure présente trois dimensions : historique, avec des analyses approfondies des crises des subprimes, du marché interbancaire, de la Grèce, puis de l’Italie et de l’Espagne, de l’euro, des immigrés, du Brexit, de la concurrence chinoise, de l’isolationnisme américain  et de la pandémie ; théorique, avec des questionnements sur les modèles économiques et monétaires qui ont été successivement appliqués depuis le traité de Rome ; prospective, avec des hypothèses sur les dispositifs de relance de la dynamique européenne après la pandémie. Les auteurs relèvent trois paradoxes dans les approches de l’Union européenne : les européens critiquent l’euro mais ne peuvent s’en passer ; les réflexes nationaux s’effacent lorsque les crises deviennent critiques ; l’Union ne se construit que dans les crises, qui « ont ceci de salutaires qu’elles rappellent aux européens les avantages pratiques du marché unique, et plus largement, d’une culture de coopération politique sans équivalent sur la planète ».

La rétrospective historique met en lumière les difficultés rencontrées par les gouvernants européens et nationaux pour résoudre les crises qui se sont succédées à un rythme accéléré au sein de l’Union. Les difficultés résultent de la complexité des institutions instaurées par le traité de Maastricht et des divergences entre les politiques économiques des pays du nord et du sud. Les auteurs analysent les rôles respectifs exercés par les protagonistes des crises (chefs d’Etat, présidents de la Commission Européenne et de la BCE, directeur général du FMI.

Les réflexions théoriques sont éclairantes. La zone euro est une construction basée sur le modèle des « zones monétaires optimales », conçu par Robert Mundel au cours  des années 1960, qui est bâti sur un « triangle d’incompatibilité ». En cas de choc asymétrique, touchant différemment les Etats-membres de l’eurozone, la BCE ne peut prendre des mesures adaptées à chaque pays. Le modèle favorise les échanges entre les économies nationales mais il ne peut assurer leur convergence. Il contribue à creuser les écarts entre les pays du nord et du sud. Les soutiens aux pays les plus vulnérables encouragent les passagers clandestins.  Le cas de la crise grecque et des menaces du Grexit est emblématique. Il a révélé « les trous et fissures du tissus  institutionnel européen ». La « mise sous tutelle de la Grèce » par la Commission et le FMI a été décidée après de longues controverses, car elle a été considérée comme la condition de survie de l’eurozone, mais elle n’a été qu’une expérience de « fédéralisme d’exception ».

Les auteurs examinent ensuite les risques respectifs du Brexit  mais aussi, d’un Italexit, d’un Frexit et d’un Dexit. Le leave anglais est d’autant plus surprenant que « c’est au nom du libre-échange » et d’un global britain mythique que le Royaume Uni se sépare de ses principaux partenaires commerciaux. Le retrait de l’Italie est jugé improbable malgré ses faiblesses, car elle est too big to fail et too big to save. Les séparations de la France et de l’Allemagne sont impensables, car elles marqueraient la mort de l’Union européenne. Les auteurs analysent notamment le discours du président Macron à la Sorbonne et constatent que son message a été faiblement entendu par les partenaires de la France, mais que l’euroscepticisme semble reculer au sein des mouvements populistes, car les programmes basés sur l’abandon de l’euro conduiraient à des impasses économiques. Les auteurs estiment que « l’alliance franco-allemande est sur-jouée », car si les allemands sont attachés à la règle et à la responsabilité, les français en ont une perception relative, étant plus attachés à la solidarité.

Elie Cohen et Richard Robert constatent que les think tanks ont multiplié les propositions de réforme. La plupart conseillent d’achever l’union bancaire, de doter la Commission d’un budget d’investissement, de mutualiser certaines dettes publiques (à l’instar des coronabonds) et de renoncer au Pacte de stabilité. Stiglitz suggère de créer un « euro fort » dans les pays du nord et un « euro faible » dans ceux du sud. Le think tank Brughel propose de créer une Europe des clubs (Euro, Shengen, Sécurité-Défense…). Ils concluent en ouvrant une « dizaine de portes pour l’Europe », afin que L’Union ne  devienne pas une « Europe allemande » mais plutôt une « fédération d’exception face aux crises ». Les gouvernants doivent désormais préférer une « meilleure intégration « à une « grande intégration ».

 

Dessertine Philippe, Le grand basculement, Eds Robert Laffont, 352 pages.

Philippe Dessertine explore les voies de l’ère post-covid. Il relève que la mondialisation des échanges a brutalement pris la forme d’une maladie planétaire, qui a remis en question certains paradigmes économiques. Son analyse est organisée en quatre grandes parties consacrées respectivement aux conséquences du dérèglement climatique, aux impacts de la rupture technologique, au défi du changement de puissance dominante et à la mobilisation des moyens financiers. Il considère notamment que « l’argent gratuit » créé depuis la crise de 2008 est une « malédiction» pour les économies développées, à l’instar de l’afflux d’or et d’argent du Nouveau Monde au tournant du 16e siècle, qui a entraîné le déclin de l’Espagne et du Portugal. « Les galions ont été convertis en  véhicules financiers  et les amiraux des flottes en banquiers centraux ». Il critique frontalement la politique monétaire non conventionnelle et les rachats de dettes publiques et privées par les banques centrales. Il déplore que les taux d’intérêt ne rémunèrent plus correctement le risque et que les fondements de la finance soient ainsi dévoyés. Il préconise une réforme des systèmes monétaires et financiers afin de relancer l’économie réelle. La monnaie créée doit s’investir dans des projets créateurs de richesse orientés vers un changement de modèle technologique, économique et social. Il observe que les épargnants sont désormais plus sensibles aux investissements à impact, « dotés d’indicateurs clairs et prouvés scientifiquement », mais il constate que l’encours de la finance verte est encore mille fois inférieur à celui de la finance conventionnelle.

L’exercice auquel se livre Philippe Dessertine est ambitieux car il embrasse les multiples dimensions du basculement entraîné par la crise pandémique, mais il est également périlleux car il s’efforce d’anticiper ses conséquences alors même que son issue est encore incertaine. L’ouvrage présente une vision dans l’ensemble optimiste de l’après-covid. Il est rédigé dans un style inventif, direct et vivant.

Philippe Dessertine est professeur d’Université (IAE de Paris), directeur de l’IHFI et chroniqueur.

 

Lepage C, Huglo Ch., Nos batailles pour l’environnement, Actes Sud, 320 p.

La lecture du dernier livre de C. Lepage et Ch. Huglo s’impose en cette période électorale marquée par des partis politiques se présentant tous en protecteurs de l’environnement et de la santé des citoyens.  Les deux avocats français qui ont le plus défendu ces causes au cours des 50 dernières années, livrent leurs riches expériences des problématiques environnementales et sanitaires en analysant 50 affaires célèbres engagées à partir des années 1970. Pour ces affaires françaises ou internationales,  ils présentent successivement les faits et les procédures, dressent des bilans et tirent des enseignements des jugements qui ont été rendus. Ces derniers ont été classés par grands domaines et par ordre chronologique. Les premières causes (1975-1995) portent sur les rejets de boues rouges et jaunes, sur les implantations et les rejets de centrales nucléaires, sur les lignes à haute tension, sur les routes et les autoroutes, la promotion immobilière, les aéroports, les décharges et les déchets. Au cours des vingt années suivantes (1995-2015), les auteurs présentent leurs combats contre les marées noires, les OGM, la protection des sites classés et l’exercice du principe de précaution. Dans une troisième partie, ils anticipent les procès de demain, au nom de la justice climatique et de la justice sanitaire.

Cette vaste rétrospective permet de mesurer les progrès accomplis et le chemin encore à parcourir dans la protection des hommes et de la nature. Elle montre l’intensité des luttes de pouvoir entre le bien public et les intérêts particuliers, entre le droit commun et les droits spéciaux, notamment le droit nucléaire. Le lecteur est surpris par la multiplicité des entorses au droit commun, par l’ampleur des zones de non droit, par les lenteurs des procédures  et par la diversité des affaires encore pendantes.

L’ouvrage est rigoureusement documenté et rédigé dans un style didactique (les termes juridiques et techniques étant systématiquement expliqués) et sur un ton dans l’ensemble non polémique.