On entend trop dans cette campagne électorale le raisonnement suivant : « Pensez donc, il est absurde de vouloir réduire le coût du travail en France : celui de la Chine est 15 fois moins élevé. Comment voulez-vous les battre ? Notre seule issue, c’est d’investir dans l’innovation et la productivité. »

C’est un sophisme qui empêche de regarder en face un grave sujet de politique économique : depuis plus d’une dizaine d’années, le coût du travail en France a dérapé. Il faut regarder toute bonne mesure pour réduire l’écart avec nos concurrents. Tout gain, même d’un ou deux pourcents, est bon à prendre.

Pourquoi ? La compétitivité ne se joue pas deux à deux, France contre Chine, ou Allemagne contre Chine, ou France contre Espagne, etc. Il s’agit d’une relation multilatérale qui engage l’ensemble des pays. Si l’Allemagne a une meilleure compétitivité que la France, elle saura compenser l’agressivité chinoise en étant meilleure que la France sur les marchés tiers, c’est-à-dire en lui prenant des parts de marché, y compris sur son marché intérieur.

C’est la parabole de l’ours et des chasseurs. Quand l’ours se retourne et va manger les chasseurs, l’essentiel n’est pas de courir plus vite que l’ours ; c’est de courir un peu plus vite que le chasseur qui court le moins vite.

Le vrai sujet n’est donc pas la Chine. Il est tout près de nous en Europe, à savoir l’érosion de notre compétitivité par rapport aux grands pays comparables. Il est anormal de lire que le coût horaire du travail en France est aujourd’hui à peu près le même que celui de l’Allemagne, alors que nous n’avons ni son niveau de productivité industrielle ni son excellence manufacturière ; ou que le solde agro-alimentaire entre l’Allemagne et la France, pays aux atouts agricoles bien assis, soit à l’avantage de l’Allemagne.

Il faut prendre conscience de l’erreur de politique économique collectivement commise depuis l’entrée dans le mécanisme de l’euro : tout heureux des durs efforts qu’avait consentis la France pour rattraper son retard de compétitivité vis-à-vis de l’Allemagne avant la création de l’euro (la « politique du franc fort »), nos politiques ont laissé filer dès l’entrée dans la décennie 2000 : politique budgétaire laxiste (d’où le débat sur la dette), sur-rattrapage du SMIC pour gérer (ou contrecarrer) la loi si honnie sur les 35 heures, promotion de la croissance française par la consommation, nous moquant des Allemands et de leur priorité à l’exportation.

Certes moins que l’Espagne ou l’Italie, la France a elle aussi été prise dans les mécanismes mal ficelés de la monnaie unique. Son problème vient de l’oubli de la « contrainte extérieure ». Quand on cohabite avec une puissance économiquement dominante comme l’est l’Allemagne, le seul guide de politique conjoncturelle est de surveiller étroitement sa compétitivité vis-à-vis de ce pays. Car c’est le pays dominant qui fixe le cap.

Il faut bien sûr déplorer que l’Allemagne ne joue pas le rôle de toute puissance en voie d’hégémonie, à savoir accepter des déficits de balance commerciale. Particulièrement aujourd’hui où, à défaut, c’est sur les pays en déficit de la zone euro que repose tout le poids de l’ajustement, comme le rappelle bien Mario Monti. L’institut allemand IKM, proche des syndicats, calcule qu’entre 2000 et 2010, les salaires allemands ont crû de 1,7% l’an, contre 2,8% sur le reste de la zone euro. Ça fait 12% d’écart à l’arrivée. Le reste de l’Europe est de tout cœur du côté des syndicats allemands.

D’ici là, il est sage de s’imposer la discipline de ne pas perdre un pouce de compétitivité par rapport à l’Allemagne. La liberté, rappelle le philosophe, c’est la nécessité consentie. Ce sera une des contraintes de la politique française après les élections.

Est-ce à dire que le discours sur l’innovation et la productivité est erroné. Bien sûr que non ! Sur la durée, ce sont les facteurs déterminants et ils doivent mobiliser toutes les énergies politiques. Par exemple, c’est en raison d’investissement de productivité plus soutenus que les entreprises allemandes dominent à présent le marché français des… biscuits bretons. Mais disant cela, on ne quitte pas le débat sur les coûts. Comment pousser à l’investissement des entreprises dont les marges sont rognées année après année par des pertes de compétitivité ? Ne rajoutons pas aux atouts bien connus de l’industrie allemande celui de disposer d’un avantage de coût.