Deux chercheurs américains ont publié récemment un article1 portant sur les motivations des fusions-acquisitions d’entreprises. Ils se sont tout particulièrement intéressés aux éléments déclencheurs des vagues de fusions, puisqu’il est établi depuis longtemps que la grande majorité des fusions-acquisitions a lieu par vagues, industrie par industrie2. Deux facteurs déclencheurs de vagues de fusions-acquisitions dans un secteur économique avaient déjà été identifiés par la recherche :

  • des valorisations boursières historiquement élevées des initiateurs ;
  • des chocs économiques dans le secteur concerné ; ces chocs consistent en une variation exceptionnellement élevée (à la hausse ou à la baisse) de différentes données sectorielles (ventes, profitabilité, investissement, R&D, emploi, rentabilité économique).

L’article montre qu’il existe un troisième élément déclencheur, statistiquement et économiquement significatif : la volatilité des flux de trésorerie (ou cash-flow). L’idée est que les opérations de fusion peuvent avoir un objectif de gestion du risque en situation d’incertitude. Ce sont les fusions verticales qui sont ici visées. L’idée originale se trouve dans un article de 1971 d’Oliver Williamson3, prix Nobel d’Économie 2009 : l’intégration verticale permet de contourner des difficultés à s’engager sur des contrats, en particulier en période d’incertitudes.

Par exemple, le fait de fusionner avec un fournisseur permet d’internaliser des charges externes et de stabiliser ainsi les coûts d’approvisionnement. En cas de fortes incertitudes, il s’avère difficile de rédiger avec les fournisseurs des contrats suffisamment précis pour prévoir toutes les situations possibles et réduire l’incertitude ; la fusion (verticale) est donc une bonne solution. Les fusions verticales agiraient donc comme une couverture opérationnelle contre le risque, éventuellement moins chère et plus efficace que d’autres formes de couverture.

L’étude empirique, fondée sur un échantillon large de fusions aux États-Unis entre 2001 et 2006, révèle que lorsque la volatilité des cash-flows4 des entreprises d’un secteur augmente d’un écart-type, la probabilité de déclenchement l’année suivante d’une vague de fusions dans ce secteur augmente d’environ 0,6 %. Ce chiffre qui peut sembler faible est en réalité économiquement significatif : la probabilité absolue de déclenchement d’une vague de fusion par secteur et par an n’est que de 3,24 % selon la méthodologie (restrictive) suivie par les auteurs.

À titre de comparaison, l’effet lié aux chocs économiques est inférieur à 0,3 %. La proportion de fusions verticales dans le total des fusions est également plus forte, ce qui laisse présumer que c’est bien la couverture opérationnelle qui est recherchée.

Les auteurs confirment cet objectif de gestion du risque par une analyse individuelle (et non plus sectorielle) des fusions. Les entreprises qui voient une hausse de la volatilité de leurs cash-flows sont plus nombreuses à initier une fusion verticale. Enfin, l’analyse indique que cette couverture opérationnelle est effective : la volatilité des cash-flows diminue significativement après une fusion verticale.

Cet article identifie empiriquement la gestion du risque comme l’une des motivations des fusions verticales. Au niveau sectoriel, cette motivation peut même favoriser le déclenchement de vagues de fusion ; et ce comportement conduit à une réduction effective de la volatilité des cash-flows.

 

1. J.A.GARFINKEL et K.W.HANKINS (2011), The role of risk management in mergers and merger waves, Journal of Financial Economics, vol.101, pages 515-532.

2. Les auteurs reprennent à ce sujet un article de J.HARFORD (2005), What drives merger waves ?, Journal of Financial Economics, vol.77, pages 529-560.

3. O.E.WILLIAMSON (1971), The vertical integration of production : market failure considerations, American Economic Review, vol.61, pages 112-123.

4. Il est à noter que les auteurs désignent génériquement par « cash-flows » des éléments du compte de résultat qui ne sont pas au sens le plus strict des flux de trésorerie. Deux mesures sont utilisées dans l’article (et aboutissent sensiblement aux mêmes résultats). La première est l’Operating Income Before Depreciation (OIBD), qui correspond en français à l’excédent brut d’exploitation (EBE). La seconde est le coût des ventes (cost of goods sold).