Cinq millisecondes, c’est le gain en temps de transport de l’information que le nouveau câble sous-marin Hibernia Express permettra entre Londres et New-York. Dans quel objectif? Améliorer la performance du trading haute fréquence.

Ainsi l’aller et retour d’un ordre entre Londres et New-York passera en dessous du dixième de seconde, à 59.5 millisecondes. Mais toujours une éternité pour ces traders. Ceux-ci vont pouvoir encore gagner encore plus d’argent sur les infimes écarts de prix ou sur une action cotée simultanément entre New York et Londres… sans effort réel et sans prise de risque !!

De tout temps, la maîtrise et la vitesse de l’information a été source de pouvoir, au bénéfice d’un petit nombre, au détriment du plus grand nombre. Ainsi, on raconte que la fortune des Rothschild vient d’une information reçue en avance : en 1815, Nathan Rothschild est prévenu que Napoléon vient de perdre la guerre à Waterloo en avance de phase, grâce à ses pigeons voyageurs. Aussi, il fait courir le bruit d’une victoire de la France, les cours de la dette britannique s’effondre, il les achète en masse et les revend quelques jours plus tard à un prix élevé…  de bonne guerre, cet avantage de l’information, disent les banquiers ! Pour contrer l’accès à une information privilégiée, les régulateurs ont «inventé» le délit d’initié ; pas de chance, les banquiers ont alors remplacé le pigeon voyageur par la fibre optique… pas de délit d’initié, mais délit de vitesse excessive avec un ou plusieurs leurres qui brouillent les écrans radar! Ce délit de vitesse – qui relève d’avantage de la manipulation de marché que du délit d’initié (punis de manière identique) est en cours de discussion au G20.

Les avances technologiques associées à la virtualisation des marchés ont permis de repousser les limites vers la très haute fréquence. Mais tout performance poussée à l’extrême a la même contrepartie que celle du sport, le dopage et l’illégalité : le « quote stuffing » ou comment submerger les marchés d’ordres inutiles pour ralentir la concurrence et les annuler ensuite, moins de 5% des ordres seront finalement validés ; le « layering » ou le gâteau à couches d’ordres pour vendre une action au cours le plus élevé en créant des paliers d’achats pour une vente dès que le cours objectif est atteint ; etc..

Ainsi, la dérive spéculative de ces pratiques est extrêmement difficile à identifier, si ce n’est par l’analyse des flux (à noter les travaux sur la « blockchain », historique décentralisé des transactions effectuées). En effet,  rien ne sert d’analyser la position bilancielle à un moment, la spéculation c’est essentiellement des flux ; il faut retracer tous les flux bancaires, y compris ceux résultant de la haute fréquence, sans oublier tous les innombrables ordres annulés réalisés pour tester ou tromper le marché ou pour jouer un titre.  Pour essayer de réduire ces risques, le projet européen EMIR tente d’apporter une réponse utile et contraignante même si elle reporte le risque sur le prêteur en dernier ressort.

Quel est l’apport réel du trading haute fréquence au marché ? Spéculation des hommes robots ou liquidité du marché, difficile de justifier tant ceci est déconnecté de nos réalités économiques. Toute amélioration de la liquidité est bonne à prendre, si tous peuvent en bénéficier et pas seulement quelques-uns. La  manipulation de marché n’apporte pas de liquidité, elle la fausse ! La volatilité des positions, la perversité des effets de levier non maîtrisés par qui que ce soit, les montants gigantesques hors bilan engagés par les banques et aussi la course effrénée et sans retour dans des actions spéculatives pourront  provoquer, à terme (la notion de temps devient relative), un risque systémique qu’aucune organisation mondiale ne saura contrôler.

Les gouvernants sont impuissants face aux enjeux et à la globalisation des marchés, les régulateurs sont encore impuissants face aux volumes et au marché qu’ils ont eux-mêmes dérégulés, les acteurs de cette économie « virtuelle » sont impuissants face  aux algorithmes ! Seule goutte d’eau positive : le 4 novembre 2015, le collège de l’AMF a demandé, devant la Commission des Sanctions, des pénalités financières significatives à l’encontre d’Euronext pour manquement à ses obligations professionnelles de neutralité et d’impartialité et de l’acteur américain de «trading» haute-fréquence Virtu, pour manipulation des cours de 27 titres durant l’été 2009, soit plus de 6 ans après les faits ! Et la machine infernale du trading à haute fréquence continue et continuera de tourner à plein régime, dans un marché sans maîtrise et sans loi, si ce n’est celle de la spéculation sans valeur ajoutée pour l’économie réelle.