L’évaluation est une discipline qui a une très longue histoire

Quelle est la valeur d’une entreprise ou d’un actif financier ? Pour répondre à cette question, fondamentale dans la vie des entreprises, les praticiens de l’évaluation ont longtemps pu recourir à des méthodologies variées. Mais, depuis quelques années, l’approche DCF (« Discounted Cash Flow » en anglais ; flux de trésorerie actualisés en français) s’est imposée comme la plus prévalente. Les normes internationales d’évaluation de l’International Valuation Standards Council la préconisent. Elle consiste à considérer que la valeur d’un actif dépend de ce qu’il est susceptible de rapporter à son détenteur et qu’elle varie à ce titre en fonction de trois paramètres : les flux financiers générés, leur étalement dans le temps et le taux de rentabilité espéré par l’investisseur compte tenu du risque. Certains actifs échappent certes à son empire. C’est le cas pour un grand nombre d’entreprises du numérique où il n’est pas rare que des valorisations élevées soient constatées alors qu’il n’y a aucun flux de revenu attendu avant longtemps), mais la plupart d’entre eux sont aujourd’hui valorisés principalement à partir de la DCF.

Un observateur extérieur pourrait penser qu’il n’y a rien de comparable entre cette méthode sophistiquée de l’évaluation financière contemporaine et les techniques antérieures, fatalement bien plus frustes. L’idée est même ancrée que l’évaluation rigoureuse ne serait née qu’au 20e siècle avec, justement, la mise en œuvre de la DCF, toute méthode l’ayant précédée lui étant considérée comme inférieure.

Cette impression d’une rupture majeure est trompeuse. En dépit du perfectionnement des techniques modernes d’évaluation, il existe en effet une longue continuité dans l’histoire de la finance, dont les mathématiques financières modernes, et notamment les DCF, ne constituent qu’une extrémité. Les fondements de ces concepts sont anciens et sont mobilisés dans la pratique depuis au moins le 16e siècle. Ce ne sont donc pas des avancées conceptuelles qui expliquent la généralisation de l’approche DCF, mais davantage le consensus actuel existant sur les déterminants de cette méthodologie.

 

On peut remonter à la Mésopotamie

Bien qu’il soit très difficile de proposer une histoire précise de l’évaluation avant le Moyen-Âge, mieux couvert grâce à ses riches archives, les historiens qui étudient les origines de la finance moderne observent que des concepts clés de l’évaluation sont connus et mis en œuvre dès l’Antiquité. Même lacunaires et d’une interprétation malaisée, de nombreux documents archéologiques ont ainsi permis d’établir que la connaissance de la technique de l’intérêt composé remonte au moins à l’époque babylonienne (vers 1800-1600 av. J.-C.).

Sous la Rome Antique, des évaluations à caractère fiscal témoignent à la fois d’une bonne compréhension des fondements de l’évaluation ainsi que d’une mise en œuvre rigoureuse de ces concepts. Ainsi, sous l’empereur Auguste, l’État romain accroît ses ressources fiscales directes et est ainsi capable de déployer une administration et une armée professionnelle dans les provinces de son vaste empire. Partout, de nombreux biens fonciers deviennent encadastrés et leurs revenus régulièrement mis à jour afin de disposer d’évaluations des capacités contributives des citoyens aussi précises que possible et parvenir à une répartition optimale de l’impôt à prélever.

Le droit romain porte la trace de ces évaluations. Il préconise de conduire le recensement des biens-fonds et des personnes selon une procédure déclarative et estimative. L’évaluation fournie par le propriétaire doit être accompagnée d’une déclaration du produit des biens sur les 10 années précédentes ainsi que d’un dénombrement détaillé du contenu de celui-ci afin d’estimer sa valeur en tenant compte des flux de revenu observés sur la période et de ses composantes intrinsèques (par exemple, le nombre de pieds de vigne ou la taille des parcelles). Une double évaluation par les flux de revenus et par les stocks est donc déjà la règle dans la Rome Antique. Les Romains ont aussi l’habitude de donner une valeur à des flux très lointains en fixant la valeur d’une nue-propriété pour des biens dont les usufruitiers sont encore jeunes.

La postérité de ces méthodes traversera les siècles puisque le Code de Justinien qui les détaille sera la référence légale de la plus grande partie de l’Europe à partir du Moyen-Âge et cela jusqu’au XIXe siècle. Tout étudiant en droit aura donc été au contact de ces méthodes.

C’était donc le début d’une très longue histoire.