Selon des chiffres publiés le 6 juin par la Banque des règlements internationaux (BRI), les banques allemandes détenaient fin 2010 un total de 22,6 milliards de dollars (15,3 milliards d’euros) de dette publique grecque, contre 15 milliards de dollars (10,5 milliards d’euros) pour les banques françaises.

De son côté, Moody’s dresse un tableau différent de celui de la BRI des expositions des banques allemandes à la dette souveraine grecque. Il apparaît que Commerzbank est la plus menacée en termes absolus avec 2,9 milliards d’euros, à égalité avec le groupe Deutsche Bank (également 2,9 milliards d’euros), qui regroupe désormais les actifs de la Postbank dont il détient la majorité du capital. Concernant l’ensemble des engagements en Grèce, les banques allemandes, qui ne disposent pas de filiales dans ce pays cumulent une exposition de 11,6 milliards d’euros. Moody’s n’envisage pas d’abaisser la notation des banques allemandes en cas de restructuration de la dette grecque. Selon l’agence, l’exposition des établissements allemands, tant directement par la détention de la dette souveraine qu’indirectement par leur exposition à l’économie grecque, n’est pas suffisante pour que même une réduction massive de moitié des créances helléniques ne conduise à une dégradation.

Pour BNP Paribas et Société Générale, en revanche, c’est avant tout le portefeuille de titres d’État qui est concerné. Il atteignait, fin mars, 2,5 milliards d’euros pour Société Générale et 5,0 milliards pour BNP Paribas, il n’était que de 631 millions pour Crédit Agricole. Ces chiffres sont proches de ceux de la fin 2010, conformément à l’engagement – tenu – pris en mai 2010 par la Fédération bancaire française (FBF) de conserver leur exposition en dette souveraine grecque1.

Suite à la publication de ces chiffres, Fitch, avait indiqué ne pas envisager d’abaissement de notation des banques françaises « sur la seule base de leur exposition au risque grec ».

En revanche Moody’s a annoncé mercredi 15 juin qu’elle envisage d’abaisser la note – envisage seulement ! – de BNP Paribas, Société Générale et Crédit Agricole et va, pour se déterminer, passer en revue, après celle des établissements allemands, leur exposition à la dette de l’État grec et à celle du secteur privé. Ce passage au crible ne devrait pas entraîner d’abaissement de notation de plus d’un cran dans le cas de BNP Paribas et Crédit Agricole, selon Moody’s. Mais il pourrait atteindre deux crans pour Société Générale, une différence liée à un élément technique relatif à la capacité de soutien public de la banque si nécessaire. Or, avec une éventuelle provision à passer de 30 %, le coût représenterait moins de deux mois de profit !

Une dispute sémantique entre les agences de notation, la Banque centrale européenne et l’International Swaps and Derivatives Association

Au-delà de cette incohérence entre la réalité chiffrée présentée par le système bancaire européen et la décision « envisagée » par Moody’s de dégrader les principales banques françaises, il convient également de rappeler les éléments d’une dispute sémantique entre les agences de notation, la Banque centrale européenne et l’International Swaps and Derivatives Association (ISDA – Association Internationale des Swaps et Dérivés www.isda.org) l’organisation professionnelle regroupant des intervenants majeurs sur les marchés financiers dérivés, dont le but premier est de fournir des contrats standards de référence pour les transactions et qui est juridiquement et contractuellement la seule entité capable de proposer à un comité de détermination2 si une opération sur une dette constitue ou non un événement de crédit susceptible d’activer les indemnisations des porteurs de Credit Default swaps. Car seul le comité, sur recommandation de l’ISDA, est habilité à prendre ce type de décisions et pas les agences de notation !

Alors qu’elle refuse habituellement de se prononcer sur un événement de crédit avant la décision du comité de détermination, l’association professionnelle des produits dérivés a détaillé, le 7 juin, les implications sur le marché des CDS des différentes opérations dont la dette grecque risque d’être l’objet : « En cas d’opérations sur la dette souveraine grecque, il est possible qu’un membre fasse une demande au comité s’il estime que le caractère volontaire de l’opération est discutable. » C’est pourquoi Jean-Claude Trichet insiste tant sur le caractère volontaire – indiscutable – de la part des porteurs dans toute opération sur la dette grecque et qu’il recommande le roll-over3 opération qui ne relève de la liste des événements de crédit retenue par l’ISDA4. On pourra questionner le caractère quelque peu hypocrite de cette notion d’acception volontaire de l’échange par les porteurs de dette souveraine grecque quand on perçoit les recommandations « bienveillantes » des directions du Trésor des pays européens sur leurs banques nationales – depuis 2008, UE,BCE et FMI ont passé beaucoup de temps en ratiocinage sémantique « quasi-talmudique »…–, mais on notera que la proposition du président de la BCE est de surcroît la plus probable car en raisonnant par l’absurde, les banques auraient intérêt à accepter un échange de titres (taux abaissés et maturité plus longue) car ce scénario leur serait en tout état de cause plus favorable, individuellement et systémiquement, qu’une faillite non organisée de la Grèce ! Si le comité n’est pas saisi, il n’aura pas l’occasion de constater un événement de crédit.

On comprend donc difficilement, l’analyse de Moody’s sauf à imaginer de mauvaises raisons…

On comprend donc difficilement, l’analyse de Moody’s, – radicalement différente, rappelons-le de celle de Fitch (à capitaux français) – sauf à imaginer de mauvaises raisons, telles, par exemple, que celles constituant à vouloir faire pression sur le G20 et la Commission européenne qui préparent une réglementation des agences de notation consistant, entre autres choses, à les soumettre à un agrément et à la supervision d’une autorité européenne. L’idée de la création d’une agence de notation publique n’est pas encore abandonnée, qui serait contrôlée par la Cour des comptes européenne indépendante du pouvoir politique.

Il ne s’agit pas ici de se faire l’avocat d’une théorie du complot, mais seulement de rappeler les rôles de chacun.

En conclusion, la situation pourrait être l’abaissement à D (défaut) de la note grecque… Sans que le comité de détermination ne le constate, sans donc, que les CDS ne soient activés !

Si personne n’attend des agences de notation de jouer un rôle de pompier, on peut au moins souhaiter qu’elles ne soient pas pyromanes !

Alors que les autorités européennes ont du mal à maîtriser le feu grec, il n’est pas sûrement pas nécessaire d’ajouter du bois.

En forme de clin d’œil du destin: le nouveau ministre des finances grec se prénomme Evangelos. En grec, cela signifie : porteur de bonnes nouvelles !

 

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1. François Pérol, président de BPCE et de la FBF, le 14 juin 2011

2. Le comité de détermination est composé de douze banques traitant les CDS, dont Société Générale et BNP Paribas pour l’Europe, et de six gestionnaires, et vote à la majorité qualifiée. Il doit d’abord être saisi par un membre.

3. Roll-over : engagement des porteurs à acheter les obligations à émettre pour rembourser la dette actuelle

4. Pour les CDS souverains, les événements de crédit potentiels sont, selon l’ISDA (www.isda.org), le défaut de paiement, l’accélération d’obligation, la répudiation ou le moratoire, et la restructuration de dette. Nous décrivons ici chacun de ces événements de crédit :

  • Défaut de paiement : Cet événement de crédit est applicable à tous les souverains. Il survient lors d’un défaut de paiement dû sur une ou plusieurs obligations de l’entité de référence. Le trigger est sujet à un montant minimum de défaut de paiement de 1mnUSD (100mnJPY pour un CDS sur le Japon), et ne peut être exercé durant la période de grâce (trois jours ouvrés par défaut, ne peut pas dépasser trente jours). Pour les souverains d’Europe de l’Ouest, d’Asie et pour le Japon, le « défaut de paiement » ne peut pas être déclaré si la maturité du CDS tombe dans la période de grâce (pas d’extension de la période de la grâce).
  • Accélération de la dette : Cet événement de crédit est seulement applicable aux souverains d’Europe de l’Est, du Moyen-Orient et d’Amérique Latine. Il se réfère à la situation où une ou plusieurs obligations doivent être payées avant maturité en raison d’un défaut, autre que le défaut d’un paiement dû par l’entité de référence sur une ou plusieurs de ses obligations.
  • Restructuration de dette : C’est sans doute l’événement de crédit le plus difficile à appréhender. Plusieurs actions peuvent entraîner une restructuration. Une restructuration survient notamment lorsqu’on observe sur une obligation de l’entité de référence : la réduction d’un coupon ou du principal, la remise à plus tard d’un paiement de coupon, l’extension de maturité, le changement de rang de priorité de remboursement (ou séniorité), ou le changement de devise en une devise non permise (une « devise permise » étant la devise légale d’un pays du G7 ou d’un pays de l’OCDE avec au moins un rating AAA parmi S&P, Moody’s ou Fitch). Pour être qualifié d’événement de crédit, de telles actions doivent résulter de la détérioration de la qualité de crédit ou de la situation financière de l’entité de référence, ce qui n’est pas toujours évident à prouver. En outre, pour les souverains d’Europe de l’Ouest et d’Asie, une autre condition requise est que la restructuration doit impacter des obligations détenues par plusieurs porteurs (plus de trois porteurs non affiliés) et nécessitant une majorité de plus de deux tiers des porteurs pour que la restructuration soit approuvée. Dans tous les cas, le trigger est assujetti à un montant notionnel minimal de 10mnUSD (1bnJPY) d’obligations restructurées.
  • Répudiation/Moratoire : Cette clause est applicable à tous les souverains. Elle est déclenchée lorsque l’autorité gouvernementale ou un agent mandaté de l’entité de référence répudie une ou plusieurs obligations ou décide d’imposer un moratoire (sur un montant notionnel minimum de 1mnUSD sauf autre spécification) et d’agir en conséquence. En particulier, cet événement de crédit ne peut être déclaré que si un défaut de paiement ou une restructuration de dette (sans aucune condition de montant minimal) survient dans les soixante jours après la date de répudiation ou de moratoire ou avant la prochaine date de paiement sur une obligation qui suit immédiatement cette date de répudiation ou de moratoire.

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