On considère comme pauvres les personnes dont le niveau de vie est inférieur à 60 % du niveau de vie médian. Cela représente environ 900 euros par mois. Dans un pays développé, ce n’est vraiment pas grand-chose. Une définition plus stricte prend en compte les individus dont le niveau de vie est inférieur à 50 % du revenu médian. Cela correspond à environ 760 euros par mois.

L’augmentation de la pauvreté est-elle réelle ou relève-t-elle du fantasme ? Regardons les chiffres. En 2007, la part de la population pauvre au seuil de 50 % s’élevait à 7,2 %. Une analyse de froid statisticien pourra considérer que ce chiffre est socialement acceptable. Mais quand on regarde le chiffre de pauvreté à 60 % du revenu médian, le taux se monte à 13,4 %. Là, cela devient vraiment beaucoup. Cela représente 8 millions de personnes ! A partir des 30 glorieuses, le taux de pauvreté a beaucoup baissé. Il faut y voir les effets d’une croissance économique élevée, de gains de pouvoir d’achat substantiels et d’une politique de redistribution fiscale plutôt favorable aux bas revenus. Mais ce n’est pas tout. Spontanément, avant même toute redistribution, le fonctionnement du système économique limitait les inégalités. L’écart des salaires avant impôts n’explosait pas, ce qui contribuait à limiter la pauvreté. Car il faut bien comprendre que la façon même dont on mesure la pauvreté constitue un indicateur d’inégalité. En Europe, contrairement aux Etats-Unis, on ne se demande pas combien de personnes touchent une rémunération inférieure à tant d’euros, mais combien de personnes perçoivent une rémunération inférieure à tant de % de la rémunération médiane. L’approche européenne considère que la pauvreté n’est pas qu’une question monétaire. Elle ne se résume pas à un manque d’argent. Les personnes pauvres « décrochent » de la société.

Le taux de pauvreté à 60 % avait beaucoup baissé jusqu’à la fin des années 1990. Il a ensuite stagné, avant de remonter à la mi-2000. Depuis, on dénombre 200 000 pauvres de plus avec la définition restrictive, 600 000 de plus avec la définition plus large.

Peut-être encore plus inquiétant, les phénomènes de grande pauvreté, souvent synonymes d’exclusion, sont eux aussi de plus en plus courants. Deux statistiques le montrent. La première concerne le taux de pauvreté à 40 %. Elle donne le nombre de personnes dont le niveau de vie, est inférieur à 40 % du niveau de vie médian, c’est-à-dire moins de 600 euros par mois. Leur nombre a décru jusqu’à l’année 2002, où il a touché un point bas à 1,2 million de personnes. Mais depuis, il remonte, flirtant depuis 2005 avec les 1,9 million d’individus. Autre statistique intéressante : ce que les économistes appellent « l’intensité de la pauvreté », et qui mesure l’évolution du revenu des pauvres par rapport au reste de la population. En effet, ce n’est pas la même chose de vivre avec un revenu qui colle au seuil de pauvreté, ou qui s’en éloigne. Dans les deux cas, on est pauvre. Mais pas avec la même intensité. Or justement, depuis 2003, l’indicateur d’« intensité de la pauvreté », qui mesure l’éloignement du niveau de vie médian des pauvres du seuil de pauvreté, a remonté. En gardant comme référence le taux de pauvreté à 60 %, l’intensité de la pauvreté est passée de 16,3 % en 2002 à 18,2 % en 2007.

Nous avons donc devant nous un phénomène qui devrait intéresser les entreprises. Peut-être, dans un pays comme la France, faudra-t-il se résoudre à associer le secteur privé à la résolution de la pauvreté ? Peut-être, pour être provocateur, faudra-t-il se résoudre, pour reprendre l’expression de feu Coimbatore Krishnarao Prahalad, à « vaincre la pauvreté grâce au profit ».