Éthique et profit : certains y verront deux notions antinomiques, d’autres deux concepts qu’il faut gérer le plus intelligemment possible, d’autres encore ne sauront ou ne pourront faire un choix, d’autres enfin franchiront la ligne jaune… C’est dire combien cette question soulève d’interrogations, de débats, de désaccords, d’incompréhensions… Étymologiquement, rien pourtant ne les oppose : le terme profit, du latin profectus, signifie progrès, avancement, succès, tandis que celui d’éthique vient du grec ethikos (la morale) ou ethos (les moeurs). Mais ces deux mots ont évolué différemment : le profit traduit la notion de gain ou de bénéfice, avec un caractère relativement immédiat, alors que l’éthique exprime des valeurs morales qui s’inscrivent dans le temps et l’espace, et se traduisent par une recherche de conduite idéale de l’existence au sein de la communauté, induisant naturellement une responsabilité sociale ; une extension contemporaine de cette philosophie de l’éthique s’exprime dans le principe de précaution. Les récents événements ont démontré que l’appât de gains rapides a compromis temporairement (du moins ose-t-on l’espérer) le respect d’une conduite « éthique » de l’existence et, par suite, la recherche d’un modèle idéal de société, condition sine qua non d’une coexistence harmonieuse.

 

Retenir les leçons du passé

Nous connaissons désormais les responsables majeurs de cet état de fait. Mais le pire serait maintenant de ne considérer que les contraintes économiques du présent sans retenir les leçons du passé, passé déjà prêt à resurgir. Je veux croire que profit et éthique peuvent coexister pour une société équilibrée, plutôt que dans un antagonisme aux effets aussi choquants que dévastateurs. La très grande majorité des directeurs financiers sait les conjuguer depuis longtemps et fait aujourd’hui ce qu’elle faisait hier : privilégier les intérêts de l’entreprise, avant tout, pour favoriser son développement, au profit de la communauté.

Utiliser les trois outils disponibles En tant que cadre dirigeant, le directeur financier joue un rôle essentiel dans l’organisation. Sa conduite doit donc être sans faille. Il doit à la fois rechercher la meilleure performance, veiller à la transparence et à la fiabilité des comptes, préserver les actifs et les moyens de développement de son entreprise. Face aux exigences des marchés et des actionnaires, aux pressions internes, le directeur financier se doit d’être vigilant (aujourd’hui sans doute plus qu’hier). Salarié, il est souvent pris entre le marteau et l’enclume. Quelles armes a-t-il pour résister à un tel environnement ? Hormis ses compétences, son intégrité et ses nouvelles qualités de communicant, il dispose de trois outils majeurs, développés ces dernières années : le système d’information, le contrôle interne et la signature conjointe des comptes ou la lettre d’affirmation (cette dernière n’étant pas encore généralisée).

Le système d’information permet de mieux structurer les processus internes. Très souvent, il amènera
l’entreprise et son organisation à s’adapter aux règles standards du système, tels que la ségrégation des tâches, les règles de contrôle des transactions ou le three way matching (émission de la commande, réception des biens et paiement de la facture). Ces systèmes éprouvés et directifs pour l’entreprise contribuent à une meilleure maîtrise des flux et à l’amélioration de son contrôle interne.

Le contrôle interne : une parfaite maîtrise du contrôle interne, à travers une documentation précise de ses processus, une identification judicieuse de ses points de contrôle et son appropriation par l’ensemble des intervenants, permettra de soustraire les personnes à toute sphère d’influence. De même, remettre en cause périodiquement la pertinence des contrôles et former en permanence les utilisateurs constitueront autant de freins complémentaires à la pression journalière du profit maximum, comme à celle des exigences toujours croissantes des actionnaires.

La signature conjointe des comptes par le directeur financier et le dirigeant de l’entreprise responsabiliseront naturellement le management, amenant celui-ci à devoir s’expliquer sur toute divergence volontaire concernant le respect des normes comptables. Cette pratique en vigueur dans les sociétés anglo-saxonnes devrait être étendue à l’ensemble des entreprises. La lettre d’affirmation est certes un premier pas qui a pour principale vocation de protéger le commissaire aux comptes, mais pourquoi ne pas aller plus loin avec une signature systématique des comptes par le dirigeant et son directeur financier ? Bien sûr, il y aura toujours l’esprit et la lettre dans l’application de certaines normes comptables pouvant être sujettes à interprétation dans l’appréciation du risque ou dans son application. Dans ces cas-là, l’éthique comptable ou financière est avant tout une question d’information et de transparence.

 

Développer des qualités d’éthique comportementale

Le directeur financier dispose donc d’une boîte à outils « éthique et profit » qu’il doit savoir utiliser avec discernement selon les circonstances tout en s’appuyant sur les auditeurs externes, le commissariat aux comptes et sur la réglementation (ex. : loi de sécurité financière ou Sarbanes-Oxley Act). Est-ce suffisant ? Nous avons tous en tête un exemple de directeur financier n’ayant pas su ou pu résister à une pression anormale de la part de sa hiérarchie ou de ses actionnaires. L’attrait des bonus annuels ou de la réalisation d’importantes plusvalues grâce aux stock-options peut aussi avoir des effets néfastes sur son comportement… Lorsqu’un directeur financier se trouve acculé à des choix cornéliens, seul le développement de qualités d’éthique comportementale personnelle fortes, en sus des compétences techniques, peut inspirer le respect mutuel et lui permettre de définir son champ de responsabilités : force de caractère, capacité d’écoute, sens de la pédagogie et de la communication, formation des interlocuteurs, mais aussi et surtout, démonstrations fermes de valeurs morales à toute épreuve au service du corps social. L’éthique est avant tout une façon d’être ou une philosophie de la vie qui ne fait pas de concession aux valeurs morales. Ces valeurs doivent nous permettre de résister aux sirènes égrenant le mauvais chant…

 

Quelques recommandations pour compléter sa « boîte à outils » éthiques

La DFCG considère depuis fort longtemps que le directeur financier devrait bénéficier d’une clause de conscience lui permettant de refuser, sans qu’il en soit pénalisé, certaines pratiques qui pourraient nuire à sa réputation ou qui ne seraient pas en conformité avec la déontologie financière. La mise en place de cette clause devait lui permettre de quitter l’entreprise sous un mode de départ négocié sans préjudice pour lui-même. Si cette nouvelle approche peut être taxée « d’angélisme », dans les faits, il est difficile d’en définir le cadre sans une déontologie claire et acceptée par tous. Mais le simple fait de l’évoquer officiellement a eu pour effet de porter sur la place publique des faits connus de tous, mais que personne n’osait ouvertement dénoncer.

La DFCG, avec ses convictions et son influence, veut contribuer à mettre en place une finance qui, aujourd’hui comme hier, réponde aux véritables fondements éthiques de l’entreprise capitaliste : générer des profits pour développer le business, au bénéfice de tous les acteurs, salariés, dirigeants comme actionnaires, dans le respect de toute la communauté.

 

[learn_more caption= »Ce que la DFCG préconise »]

  • La rédaction d’une charte de déontologie de la gouvernance des dirigeants, en liaison avec d’autres associations.
  • L’établissement d’un code de déontologie financière, qui permettrait de décrire les fondements et règles de l’éthique financière, assurant finalement une compréhension commune entre directeurs financiers, dirigeants et actionnaires.
  • La généralisation de la signature des comptes par le dirigeant et le directeur financier de l’entreprise, quelle que soit sa taille, son statut juridique ou son actionnariat.

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Ce post est une reproduction d’un article publié dans la revue échanges datée d’avril 2009.