L’IASB et le FASB ont le projet commun bien avancé de modifier en profondeur la comptabilisation des contrats de locations sous le prétexte, habituel, de grandement améliorer l’information financière à la disposition des investisseurs. Pour notre part, nous pensons qu’il s’agit d’un grand bond . . . en arrière !

Une fois de plus, par dogmatisme, l’IASB va rendre plus complexe la lecture des comptes, va alourdir inutilement la charge de travail de ceux qui les préparent et contrairement à ce qui est affirmé sans la moindre démonstration, aboutir à compliquer la vie de ceux qui utilisent au quotidien les comptes. D’où notre expression de grand bond en arrière.

Plus grave en complexifiant la comptabilité, l’IASB et le FASB la rendent plus opaque et donc moins crédible pour le commun des mortels alors que sa simplicité est un gage de son acceptabilité.

De quoi s’agit-il ?

Actuellement, la réalité économique :
• des contrats de location, par lesquels un propriétaire met à la disposition d’un locataire un bien pendant une durée définie moyennant le paiement d’un loyer et le retour du bien à l’échéance du contrat de location à moins que celui-ci ait été prorogé ;
et
• des contrats de crédit-bail ou leasing par lesquels une entreprise se voit mettre à disposition un bien pendant une durée proche de sa durée de vie, avec le plus souvent une option d’achat finale du bien à un prix plus faible que la valeur résiduelle du bien à cette échéance, moyennant naturellement le paiement d’un loyer régulier ;

est traduite comptablement par deux traitements distincts qui correspondent à la nature économique différente de ces opérations.

Le contrat de location (simple ou opérationnelle pour le distinguer du crédit-bail aussi appelé leasing ou location financière) donne lieu à des loyers qui sont comptabilisés au compte de résultat en charges d’exploitation.

Le contrat de location financière donne lieu à l’inscription du bien à l’actif du bilan du preneur avec corrélativement une inscription au passif d’une dette de nature financière correspondante à la valeur actuelle des loyers restant à payer. Au compte de résultat, le loyer payé disparaît et fait place à des frais financiers et à la dotation aux amortissements du bien. Tout se passe comme si le preneur avait acquis le bien et s’était endetté pour ce faire (1). Ce traitement n’a rien de choquant et correspond, au contraire, à l’intention de l’entreprise qui entre dans un contrat de location financière : utiliser le bien comme si elle en était le propriétaire effectif car elle sait bien qu’in fine, elle en deviendra propriétaire, tout en le finançant pas un endettement dans l’intervalle. Pour elle, un crédit bail est avant tout un crédit.

Un grand bond en avant a été fait il y a une vingtaine d’années lorsque la comptabilité a fait sienne l’interprétation économique des contrats de crédit-bail au détriment de l’interprétation juridique (juridiquement, le preneur n’est pas propriétaire du bien). Dès lors, les utilisateurs des comptes n’ont plus besoin de procéder à des retraitements extra comptables en inscrivant à l’actif le bien et une dette pour le même montant, ni de retraiter les loyers de crédit-bail en frais financiers et en dotation aux amortissements. Bref, un grand progrès.

Maintenant l’IASB et le FASB veulent caler le traitement des locations simples sur celles des locations financières. La valeur du droit d’utilisation du bien serait inscrite à l’actif. Parallèlement, une dette de nature financière apparaîtrait au passif qui se réduirait progressivement. Le loyer disparaîtrait au profit de frais financiers et de dotations aux amortissements, ces dernières venant réduire chaque année la valeur du droit d’utilisation (2).

Bien évidemment (!), la valeur de ce droit d’utilisation devra être révisée si un changement des conditions économiques et financières affectait négativement sa valeur, donnant lieu à une dépréciation dans le compte de résultat.

Les normalisateurs comptables fondent leurs points de vue sur les postulats suivants :
• une location financière et une location simple sont fondamentalement le même acte économique et il n’est pas normal qu’ils soient traduits différemment dans les comptes ;
• il est difficile de distinguer nettement par des principes, et non par des règles, location simple et location financière ;
• des investisseurs faisant des redressements des contrats de location simple, autant les faire pour eux.

Que l’on nous permette d’être en désaccord net avec ces positions.
(1) Pour plus de détails, voir le chapitre 8 du Vernimmen 2011.

(2) L’amortissement financier de la dette demeure déconnecté de celui du droit d’utilisation.

L’esprit de la location simple n’a rien à voir avec l’esprit d’une location financière.
Une entreprise recourt à une location simple parce que :
• elle n’a pas les moyens financiers, aujourd’hui ou plus tard, d’acheter le bien ;
• elle veut se garder la flexibilité de pouvoir rendre le bien à l’issue du contrat pour en louer un autre qui corresponde mieux à ses besoins du moment, voire en acheter un ;
• elle préfère consacrer ses ressources financières, le plus souvent en montant limité, à d’autres affectations qu’elle juge plus efficaces pour elle : dépenses de R&D, croissance externe, investissements publics promotionnels, etc.

Une entreprise recourt à un crédit-bail parce qu’elle veut disposer du bien comme si elle en était déjà propriétaire, et in fine (3), l’acquérir. Mais elle ne peut pas ou ne veut pas aujourd’hui l’acquérir sans recourir à un crédit. Comme le prêteur garde juridiquement la propriété du bien en crédit-bail jusqu’à l’échéance du contrat, il s’agit d’une forme de crédit particulièrement bien garanti pour le prêteur ; et donc à des conditions de taux d’intérêt intéressantes pour l’emprunteur.
La logique économique et financière est donc totalement différente entre location simple et location financière.

Il est cependant vrai que dans certains secteurs, comme la grande distribution, l’hôtellerie et le transport aérien, des entreprises ont massivement eu recours à la location, souvent d’ailleurs en cédant des actifs en plein propriété pour les relouer, en location simple auprès de leurs nouveaux propriétaires. Il est vrai aussi que des agences de notation, des banques redressent les comptes des compagnies aériennes ou de groupes hôteliers pour tenir compte d’engagement de paiement de loyers qui peuvent obérer lourdement les flux de trésorerie disponibles. Ainsi Standard & Poors capitalise-t-il les loyers fixes d’Accor, mais ne redresse pas les loyers indexés sur le chiffre d’affaires.

Mais faut-il pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain ? Ne suffit-il pas de demander que ces informations figurent en annexe pour permettre à ceux qui le souhaitent, une petite minorité des investisseurs, de procéder aux retraitements qu’ils souhaitent ?

Ce traitement aboutit à faire apparaître des dettes au bilan qui n’en sont pas, car celui qui vous loue des bureaux ou des machines ne vous a pas confié de l’argent comme peut le faire un obligataire ou un banquier. Il fait aussi apparaître des actifs, un droit d’occuper ou d’utiliser un bien, qui, la plupart du temps n’est pas cessible. Avec beaucoup de naïveté, le président de l’IASB déclare que cela permettra de prendre conscience du véritable niveau d’endettement des entreprises et il chiffre à 640 Md$ le surcroît de dettes. Pour un peu, grâce à cette mesure, la crise financière aurait été évitée…

(3) Disposer du bien comme si elle en était propriétaire et effectivement bénéficier de conditions financières plus favorables.

Quant à dire qu’il est difficile de faire la distinction entre location simple et location financière, on se moque du monde. A quoi sert l’IAS 17 ? Mais c’est aussi la limite pratique de définitions conceptuelles qui ont poussé les professionnels à utiliser des règles édictées par le FASB qui reposent principalement sur la comparaison de la valeur actuelle des loyers et de celle de l’actif en question et de la durée de la location avec celle du bien (4).

Certes comme il s’agit de règles, et non de principes, ou plus précisément d’un principe qui, pour pouvoir s’appliquer dans la pratique a besoin de règles, il est possible de structurer des montages qui permettent de les contourner. Mais à quoi servent alors les commissaires aux comptes, les auditeurs et les comités d’audit, si ce n’est à y mettre le holà ?

Si l’on suit la logique de l’IASB et du FASB, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Pourquoi ne pas inscrire au bilan un droit d’utilisation des salariés (car nous devons tous à nos employeurs une période de préavis) avec une dette en contrepartie (les salaires dus pendant cette période de préavis). Idem pour un contrat avec un fournisseur prévoyant un volume d’achat de biens et de services sur plusieurs périodes. Comme en toute chose, il faut mettre une limite qui délimite clairement ce qui relève d’un financement et ce qui relève de la flexibilité (la location simple). A notre avis, cette limite passe là où elle est actuellement, et non là où l’IASB et le FASB ont l’intention de la mettre.

Nous ne saurions donc trop encourager nos lecteurs à faire valoir leurs points de vue auprès d’Acteo (www.acteo.org) qui prépare une réponse française à ce projet, ou directement à l’IASB (www.ifrs.org).

(4) Voir page 153 du Vernimmen 2011.