Dans un post récent, François Meunier abordait le thème « dette publique et gouvernance ». Le débat actuel conduit ici à réfléchir aux organes de contrôle de l’exécution des budgets et de la validité des agrégats économiques et financiers. Après avoir observé les modes de fonctionnement des « Cours des comptes » des principaux pays « avancés », nous aborderons les difficultés conceptuelles et pratiques de bâtir un cadre de contrôle budgétaire européen, étape initiale avant la mise en œuvre de tout « système » d’amende ou pénalité.

 

La Cour fédérale allemande des comptes (Bundesrechnungshof), administration chargée du contrôle des comptes publics, de la rentabilité et de la régularité de la gestion budgétaire et économique, est placée au sommet de la hiérarchie administrative, au même titre que la présidence, la Chancellerie et les ministères fédéraux.

Au Royaume-Uni, le National Accounting Office, organe de contrôle financier et budgétaire des comptes et politiques publics, est rattaché au Parlement, instance de contrôle du gouvernement par nature.

Aux Etats-Unis, le US Government Accountability Office (GAO), bras d’investigation du Congrès qu’il supporte dans ses missions constitutionnelles, s’assure du bien-fondé et du bon usage de chaque dollar dépensé par les administrations.

En France et dans les pays latins, la Cour des Comptes, rattachée au gouvernement qui garantit son indépendance « au mieux » (1), est une juridiction composée de magistrats qui rendent des avis et, le cas échéant, inflige des amendes à des entités juridiques. Vis-à-vis des lois de finances et des lois de financement de la Sécurité Sociale, la Cour veut apparaître comme un Commissaire aux Comptes qui certifie – ou non -.la « loi d’exécution budgétaire » préparée par Bercy. Si la Cour ne certifie pas les comptes, le Parlement reste libre de voter la loi sans retenir les réserves que la Cour pourrait formuler.

Comment bâtir un cadre de contrôle budgétaire européen ?

La principale fonction de la Cour des Comptes européenne consiste à contrôler que les budgets de l’UE et des institutions européennes sont exécutés correctement, autrement dit que les recettes et les dépenses de l’UE (y compris les fonds de concours mis à disposition de pays de l’Union ou non) sont légales, ne prêtent pas à contestation et que la gestion financière est appropriée. Ses activités contribuent ainsi à garantir que le système européen fonctionne d’une manière efficace et transparente. La Cour présente annuellement au Parlement, au Conseil et à la Commission un rapport sur l’exercice financier écoulé pour approbation.

Dans l’exercice de ses fonctions, la Cour examine les documents de toute personne ou organisation gérant des recettes ou des dépenses de l’U.E. Elle effectue fréquemment des contrôles sur le terrain. Ses conclusions figurent dans des rapports écrits qui attirent l’attention de la Commission et des gouvernements des États membres sur les problèmes éventuels. En fait, bien que les travaux de la Cour portent dans une large mesure sur des fonds dont la Commission est responsable, dans la pratique, 80 % des recettes et des dépenses sont gérées par les autorités nationales.

La Cour des comptes européenne, ne possède aucun pouvoir juridique propre. Si les contrôleurs découvrent une fraude ou une irrégularité, ils en informent l’Office européen de lutte anti-fraude pour action éventuelle.

Pour bien accomplir ses missions, la Cour des comptes doit rester totalement indépendante des autres institutions européennes, tout en entretenant avec elles des relations permanentes.

On perçoit, à l’issue de cette brève présentation, les différences culturelles de positionnement d’une autorité « financière » : quel doit être son degré d’indépendance par rapport aux pouvoirs législatif et politique ? Quelle est l’étendue de ses missions, audit comptable ou/et de performance ? Quels sont ses pouvoirs coercitifs ?

Comment, dans ces conditions, imposer des sanctions pour laxisme budgétaire sans avoir bâti un dispositif d’instruction du dossier, sans avoir appliqué dans toute l’Europe des normes de comptabilité publique européennes, certes existantes mais inégalement appliquées, quand la prise en compte des hors-bilans – retraites de fonctionnaires maintenant, cautions et garanties croissantes dans les prochaines années- semble être soumise au bon vouloir des autorités nationales ?

Si le niveau de la dette a été une variable d’ajustement des politiques publiques, il ne devrait pas être trop difficile d’en choisir une autre (le voleur a toujours un temps d’avance !) Or, comme l’ont montré Reinhard et Roggoff, le ratio dette/PIB n’est que l’un des éléments de santé et de redressement financier et économique. L’équilibre est difficile à trouver. Que penserait-on d’un artiste faisant tourner des assiettes au bout d’une perche, décidant d’en coller une et de laisser choir les autres ? Recevrait-il les applaudissements du public ?

Une idée en cours d’étude serait, d’opérer un transfert partiel de souveraineté des Cours des comptes nationales au profit de la Cour des Comptes européenne qui entérinerait les comptes nationaux comme elle l’entend et pourrait proposer des amendes votées par le Parlement Européen. Les traités actuels ne prévoient pas cette possibilité.

Plus difficile à traiter est le sujet démocratique. Comment peut-on trouver une légitimité à des organes politiques (conseil des chefs d’Etat et de Gouvernement, Commission) et législatifs pour prendre des sanctions judiciaires ? Ne risque-t-on pas de donner un coup de canif dans le parchemin constitutionnel de l’équilibre des pouvoirs ? Comment être certain de ne pas battre en brèche au niveau le plus élevé le principe de la proportionnalité de la peine? Où se trouvera le nécessaire pouvoir d’appréciation d’un « juge », seul garant de la non-automaticité d’une peine ?

En dernier lieu, majorité ou minorité qualifiées, les Etats pourront passer des accords « secrets » pour refuser de voter une amende à l’encontre d’un pays dont ils demanderont l’approbation lors d’une discussion qui pourra n’avoir aucun rapport avec les équilibres budgétaires. Cet élément inciterait d’ailleurs à privilégier la peine automatique… que l’on vient d’exclure (cf supra § précédent).

Certes, il est nécessaire et impératif pour la durabilité de l’Union, de prendre les mesures nécessaires pour éviter des divergences insurmontables entre pays. Peut-on le faire sans modifier les traités ?

Une fois encore, plus d’Europe pour éviter qu’il n’y ait plus d’Europe ?

(1) Le budget de la Cour des comptes relève du Premier ministre depuis 2008 et non plus du ministre de l’économie et des finances.