Comme chacun, j’ai appris à l’école que les marchés sont efficients et proposent donc une juste évaluation, en temps réel des entreprises ayant fait le choix de se coter. Comme beaucoup, j’ai découvert sur les marchés de nombreuses inefficiences, sur tous les produits et notamment sur le marché actions, tous secteurs confondus !

Cette inefficience m’amène à décrier l’utilisation du cours de Bourse comme valeur de référence – ou valeur dite « fondamentale » – lors de transactions sur le capital de sociétés. Il faut une évaluation plus approfondie des sociétés (via, par exemple, des sociétés spécialisées) et non à la « simple » utilisation du cours de Bourse.

Il convient tout d’abord de garder en tête que le cours de Bourse reflète non seulement la capacité de la société à générer des flux futurs, mais également ce que les gérants appellent le momentum boursier. Ce momentum correspond généralement au reflet du flux de nouvelles (positif ou négatif) ainsi qu’à l’attractivité d’une classe d’actifs ou d’un secteur à un moment donné. Le momentum reflète davantage une évaluation court terme qu’une évaluation fondamentale, long terme de la société.

L’inefficience du marché est accentuée par la gestion du consensus des analystes financiers. En effet, une société s’attendant à de piètres performances peut distiller un message de prudence aux analystes afin que les attentes de ces derniers soient abaissées et que les performances publiées soient finalement bien accueillies par le marché. La gestion du consensus aura deux impacts dans ce cas de figure : une moindre volatilité du titre lors de l’annonce de mauvais résultats et, dans le cas qui nous intéresse, une minimisation des attentes pour l’année tendant à accentuer le caractère « court terme » de l’évaluation.

Mais cette inefficience est surtout flagrante en raison des différents degrés de connaissance ou d’information des acteurs de marché. En effet, il reste évident que le petit porteur bénéficiera de moins d’attention et d’une connaissance plus grossière de la société dont il est actionnaire qu’un actionnaire de référence qui restera choyé par les personnes chargées des relations-investisseurs. Evidemment, poussant la logique jusqu’au bout, une évaluation par le cours de Bourse, largement dépendante de transactions réalisées par de « petits »actionnaires ne saurait servir de référence pour la cession d’un bloc de contrôle (simple ou dans le cas d’une offre publique).

Le cours de Bourse est bien souvent utilisé en « référence circulaire ». Ainsi, bien souvent, plutôt qu’une évaluation détaillée, les décideurs se voient proposer un raisonnement par les multiples de sociétés comparables. Si la logique est compréhensible, il n’en reste pas moins que l’on estime alors une valeur d’entreprise en partant du postulat que ses comparables sont correctement valorisés par le marché ! Pourquoi l’entreprise à évaluer serait-elle la seule anormalement appréciée ? Souvenons-nous des années 2000 dont la bulle a reposé principalement sur ce biais !
Au-delà des comparables boursiers, la « référence circulaire » peut se retrouver dans les DCF (actualisation de flux de trésorerie disponibles) lorsque l’évaluateur considère que la volatilité ou le risque (inclu dans le taux d’actualisation) nous est donné par… le bêta (la volatilité) constaté sur le titre sur les 12 derniers mois, par exemple !

Les années 2008-2009 ont également mis en lumière des facteurs techniques, à l’image du fameux rachat de positions vendeuses (short squeeze) qui a valu à Volkswagen de devenir, l’espace de quelques séances, la première capitalisation boursière mondiale alors que le secteur automobile était déjà en crise.

Édouard Camblain, auteur de Les pièges de l’évaluation d’entreprise (Vuibert, juin 2009)