En supprimant le prélèvement forfaitaire libératoire, le gouvernement Ayrault a eu pour objectif d’aligner les taux d’imposition des revenus de l’épargne sur ceux qui pèsent sur les revenus du travail. Cette réforme est critiquable du point de vue de l’efficacité économique. Mais on peut tout autant la remettre en question du point de vue de l’équité.

En premier lieu, le taux maximal effectif de prélèvement sur la rentabilité du capital (revenus ou plus-values) est désormais significativement supérieur à celui sur les revenus du travail (IRPP + CSG et CRDS), et il est du même ordre de grandeur – voire supérieur – que l’imposition maximale totale du travail y compris cotisations sociales salariales et patronales (qui ont pourtant quant à elles des contreparties en termes de droits sociaux). Prenons l’exemple des revenus d’intérêts. Le taux facial maximal s’élève désormais à 58 % – somme des prélèvements sociaux (15,5 %) et du taux maximal de l’impôt sur le revenu (un peu moins de 43 % en tenant compte de la CSG déductible). Si l’on tient compte aussi de l’ISF sur un rendement nominal de 4 %, on aboutit alors à un taux de prélèvement compris entre 70 % et 90 % selon le taux d’ISF applicable. Par ailleurs, alors que l’inflation est neutre pour la taxation des revenus du travail (du fait de l’indexation des tranches du barème de l’IR), ce n’est pas le cas pour la taxation du capital dès lors que cette dernière s’applique sur la rentabilité nominale plutôt que sur la rentabilité réelle : l’érosion monétaire opère en effet un prélèvement d’autant plus lourd que la composante « réelle » de la rentabilité est plus faible. Par exemple, si l’inflation est de 2 %, imposer au taux de 58 % une rentabilité nominale de 4 % correspond à un taux de prélèvement supérieur à 100 % sur la rentabilité réelle !

En second lieu, l’équité entre contribuables ne doit pas être appréciée sur la seule base de leurs revenus une année donnée, mais sur la durée. Si l’on considère deux individus percevant la même rémunération salariale, celui qui choisira d’épargner pour consommer davantage dans le futur sera indûment pénalisé par rapport à celui qui consomme immédiatement, si les produits du capital ainsi accumulé sont taxés. Dans ce cas, l’équité justifierait soit d’exonérer les revenus tirés de l’épargne, soit de déduire du revenu imposable les montants épargnés chaque année (la taxation intervenant alors au moment de la désépargne). Ces deux types de formules sont d’ailleurs mises en œuvre, sous des formes diverses selon les pays et les dispositifs, dans le cas de l’épargne-retraite.

Tout cela montre que l’alignement du taux facial d’imposition des revenus de l’épargne sur celui des revenus du travail est non seulement trompeur, mais qu’il est généralement contraire à l’équité entre contribuables. De fait, aucun pays de l’OCDE, hors désormais la France, ne pratique une imposition absolument globale des revenus, dans lequel le barème progressif s’applique de façon uniforme à tous les types de revenus, quelle que soit leur origine. Un cas très éclairant est celui des pays nordiques, pourtant peu suspects de libéralisme débridé. Ceux-ci ont mis en place, au début des années 1990, un système dit « dual » d’imposition des revenus. Par exemple, en Norvège, tous les revenus – travail et capital – sont taxés à la base à un même taux forfaitaire de 28 %, qui est aussi celui de l’impôt sur les sociétés (avec un crédit d’impôt pour les actionnaires afin d’éliminer la double taxation des bénéfices) ; mais s’y ajoute, pour les seuls revenus du travail, une « surtaxe » avec un barème progressif, qui aboutit pour ceux-ci à un taux marginal maximal de 48 % (y compris le prélèvement forfaitaire de 28 % et les cotisations sociales salariales).

On pourrait avancer que les arguments en faveur de taux de taxation plus bas sur les revenus du capital perdent de leur pertinence lorsque ceux-ci proviennent non pas d’un véritable effort d’épargne, mais sont issus d’héritages ou de pratiques de rémunérations alternatives aux salaires (par distribution de dividendes ou attribution de capital). Mais, il serait alors plus pertinent de résoudre ces problèmes à leur source, plutôt que de « surtaxer » l’ensemble des revenus du capital. D’une part, la question du capital hérité doit être traitée par la fiscalité des transmissions. D’autre part, les rémunérations alternatives aux salaires doivent faire l’objet de mesures spécifiques si le législateur juge qu’elles donnent lieu à des arbitrages fiscaux abusifs : par exemple, dans le cas à nouveau de la Norvège, le capital des entrepreneurs individuels est imposé sur la base d’un taux notionnel de rentabilité, la part de leur rémunération totale excédant ce plafond étant alors taxée comme un revenu du travail, qu’elle ait été ou non distribuée sous forme de salaire.

Comme l’exception française en matière de fiscalité de l’épargne va vite se révéler contre-productive, on peut parier que de nouveaux régimes dérogatoires vont devoir ultérieurement être créés pour en atténuer ou contourner les effets. Le caractère complexe et illisible de notre fiscalité de l’épargne, avec ses taux maximaux prohibitifs et son assiette « trouée », sera encore accru. Les seuls gagnants seront in fine les conseillers fiscaux !