Le débat de fond sur la Grèce – dont tout le monde voit bien l’insolvabilité – est celui-ci : quel montant de créances l’Europe (BCE incluse) acceptera-t-elle d’abandonner ? Sachant les pressions que les dirigeants européens subissent en politique intérieure, la marge est faible. Christine Lagarde, du FMI, monte au créneau pour que ce dossier, toujours hautement infectieux, ne contamine pas à

nouveau le reste de la zone euro.

Mais du coup, les idées idiotes fleurissent. Celle-ci par exemple : il suffit que le gouvernement grec rachète sa propre dette sur le marché, en vendant les actifs privatisables qu’il détient, ou même en procédant à leur échange contre de la dette existante.

Les financiers d’entreprise le savent bien : il ne faut jamais racheter sa propre dette au fil de l’eau sur le marché. La raison : le fait même de racheter la dette a pour effet (truisme) de désendetter le pays, et donc d’améliorer la qualité de crédit du pays. Si donc on réduit la dette d’un côté, de l’autre, on la revalorise.

Citons l’exemple de la Bolivie. Bien qu’à court de fonds et noyé sous la dette, le gouvernement bolivien décida de racheter une fraction de sa dette sur le marché, pour l’annuler ensuite. Le nominal de la dette s’élevait à 670 M$, mais valait, à 6 cents du dollar, 40,2 M$. Le gouvernement alloua un montant de 34 M$ à ce rachat qui permit de racheter de l’ordre de 45 % de la dette existante.

Que s’est-il passé ? Les créanciers de la Bolivie comprirent tout de suite que l’allègement de dette augmentait la capacité du pays à rembourser le solde. Ainsi, le prix unitaire de la dette résiduelle passa de 6 cents à 11 cents pour un dollar et sa valeur de marché s’établit à 39,8 M$. Les 34 M$ s’étaient évaporés dans les poches des créanciers existants.

La Bolivie y avait gagné une économie d’intérêts sur la dette résiduelle, ce qui est bien en trésorerie. Mais elle était déjà en défaut ou quasi, de sorte que sa capacité à payer restait limitée.

Il en ira de même pour la Grèce. Par exemple, son emprunt 6,14 %-2028 se négocie à 38 centimes de l’euro, soit une décote de 62 %. Son emprunt en yen 5,25 %-2016 en est à 39 centimes. Ces deux emprunts ont une valeur nominale d’environ 500 M€ et un prix de marché de l’ordre de 40 % x 500 M€ = 200 M€.

Si les Grecs consacrent 100 M€ au rachat de cette dette pour la réduire de moitié, et que ce simple mouvement fasse passer le prix de marché à 70 centimes de l’euro, la dette restante vaudra toujours 70 % x 250 M€ = 175 M€. Elle n’aura économisé en valeur financière que 25 M€ pour 100 M€ dépensé. Voici un taux de rendement extrêmement bas ou plutôt extrêmement négatif (-75 %).

Certes, la charge d’intérêts annuels, à disons 6 % en moyenne, passera de 30 à 15 M€. Mais la valeur financière des flux d’intérêts futurs ne baisse pas en proportion de la réduction du nominal de la dette. En effet, suite à la baisse du taux de rendement de la dette (signe d’une probabilité de défaut moindre), l’actualisation des flux futurs en donnera une valeur présente proche. Dépenser 100 M€ pour réduire de 15 M€ pendant une dizaine d’années vaut le coup quand les taux d’intérêt sont bas ; mais pas du tout quand ils restent très élevés. La Grèce a sans doute meilleur usage budgétaire de ces 100 M€.

L’autre bêtise concerne la cession d’actifs publics pour racheter la dette. Pour un acteur surendetté, entreprise ou État, la cession d’actifs règle des problèmes de liquidité. Elle ne règle des problèmes de solvabilité que si le rendement financier des actifs cédés est inférieur au taux de rendement de la dette (qui est très élevé)[1]. C’est l’effet de levier vu à l’envers. À défaut, l’État s’appauvrit.

Il faut donc choisir des actifs à très faible rendement, mais avec une certaine valeur patrimoniale. En général, l’immobilier répond à cette définition. La seule idée viable serait de vendre par enchères internationales et bail emphytéotique certaines des îles de la mer Égée. Tout le reste, ce sont des sottises. Et celle-ci en est une aussi, d’ordre politique !

 


[1] Dit autrement, il faut vendre les actifs dont le P/E est supérieur au P/E de la dette, rapport de sa valeur financière au montant de sa charge d’intérêt.