La norme ISO 26 000, issue de travaux engagés en 2005 et adoptée par 77 pays1 en septembre 2010, rassemble tous les textes fondateurs en matière de développement durable et de responsabilité sociale d’entreprise (RSE). Elle propose des lignes directrices, mais laisse les acteurs des organisations (entreprises, administrations, associations) libres de leurs interprétations et de leurs modalités d’application2.

 

La notion de RSE recouvre, au sens anglo-saxon, celles de responsabilités économique, environnementale, sociale et sociétale. Elle est étroitement associée à celle de développement durable, introduite officiellement en 1972 à la conférence de Stockholm et enracinée dans plusieurs courants de pensée: l’économie sociale, l’écologie naturelle, la gouvernance de l’entreprise, l’éthique des affaires…. Elle est encadrée par des conventions (comme celles des droits de l’homme), par des principes directeurs (comme ceux du Global Reporting Initiative de l’ONU ou du Livre Vert de l’Union Européenne), par des lois nationales (comme la loi française sur les Nouvelles Régulations Economiques), par des normes, des labels et des standards édictés par des organismes internationaux (comme l’International Standard Organization), enfin, par des agences de notation sociale (comme Vigéo), des organismes paritaires (comme l’Observatoire de la Responsabilité Sociale), de cabinets de conseil spécialisés dans le développement durable (comme Ecodurable) et des firmes initiatrices de bonnes pratiques ou benchmarks.

Ce foisonnement des référentiels en matière de RSE témoigne de la richesse du concept, mais constituait – du moins jusqu’à la publication de la norme ISO 26 000 – un obstacle à sa mise en œuvre. Les conventions, lois, règlements, normes, standards…ne sont pas organisés « suivant la pyramide classique des sources du droit »3 : ils émanent d’organismes de statuts différents ; ils couvrent des champs variés ; ils poursuivent des finalités en partie contradictoires (comme l’économique et le social ou l’écologique et le social) ; ils diffèrent parfois d’un pays à l’autre… Ils soumettent les managers à des problèmes d’interprétation, d’application et d’anticipation des nouveaux textes, et peuvent les inciter à une gestion prudente des risques juridiques, fiscaux et/ou pénaux entraînés par le non-respect des lois. Ils peuvent favoriser, dans certains cas, la mise en œuvre de stratégies d’économies de coûts, de délocalisation ou d’externalisation, dans des zones offshore, d’activités polluantes ou à haute densité de main d’œuvre. Ils peuvent entraîner des manœuvres de lobbying (destinées à limiter les effets de textes contraignant pour l’entreprise), des comportements de « markethique » ou de « greenwashing » (visant à masquer l’insuffisance de RSE par des discours édifiants ou des actions clientélistes). La grande distribution ne fonde-t-elle pas ses argumentaires commerciaux sur le développement durable, tout en restant sur-consommatrice de ressources diverses : travail temporaire, terres agricoles, énergies de chauffage et de climatisation, carburants des véhicules des fournisseurs et des clients4 ?

 

Mais les standards de la RSE offrent également aux entreprises des sources nouvelles d’avantage concurrentiel, en les incitant à développer leurs capacités d’innovation de nouveaux produits et procédés, à enrichir leurs facultés d’apprentissage de nouvelles compétences et connaissances, ainsi qu’à renforcer leurs identités collectives, leurs images de marque et leurs cultures socioprofessionnelles. Il émerge ainsi de nouvelles formes de pilotage des performances de l’entreprise – qualifiées, selon les auteurs, « d’éco-management », de gestion « durable », « soutenable », « globale »… mais aussi, « paradoxale », « complexe »…

 

Ces nouvelles façons de piloter l’entreprise doivent lui permettre d’exercer des responsabilités étendues à la fois dans le temps (du court au long terme) et dans l’espace socio-économique (de ses actionnaires à l’ensemble de ses parties prenantes). A l’entreprise « pluraliste » ouverte sur ses partenaires se substituerait l’entreprise « moniste », (centrée sur ses actionnaires ), le modèle de gouvernance « partenariale » (axé vers les parties prenantes de l’entreprise) à celui de gouvernance « actionnariale » (centré sur les actionnaires), le référentiel « durable » (l’entreprise est représentée comme une « communauté de pratiques ») au référentiel financier conventionnel (la firme est définie comme un « nœud de contrats »). L’entreprise socialement responsable doit donc faire appel à diverses techniques – parfois nouvelles – de management : l’éco-conception, la nouvelle « cartographie des risques », le « commerce équitable », la gestion de la qualité totale, la « comptabilité intégrée », la « finance éthique », le « reporting sociétal », la « communication transparente », le mécénat socioculturel…

 

La publication de la norme ISO 26000 constitue donc un nouveau challenge lancé aux managers des entreprises, et notamment à leurs directeurs financiers.

1. Les Etats Unis et l’Inde ne l’ont pas ratifiée.
2. Capron M., Quairel-Lanoizelée F., Turcotte M-F. (2010), ISO 26 000, une norme « hors norme », Economica.
3. Teller R, Ifergan P. (2010), « complexité des normes, trouver le juste équilibre“, Revue Echanges, n°282, pp.26-28.
4. Dugot P, Pouzenc M. (2010), territoires du commerce et développement durable, L’Harmattan.