Ceux des lecteurs de notre blog qui croyaient que la crise des subprimes allaient enfin faire comprendre à nos amis américains qu’un pays ne peut vivre sans un minimum de règles risquent d’être fort déçus : une bonne partie de l’opinion US (surtout républicaine) perçoit très sincèrement la récente crise financière comme l’une des scories inévitables du système capitaliste, sans plus.

 

On en jugera d’après les trois exemples ci-après :

 

  1. Les restrictions apportées au budget de la SEC1 : le comité ad hoc du Congres (House Appropriations Committee), contrôlé par les républicains, a décidé de réduire son budget de fonctionnement pour l’année fiscale 2012 de 222,5 M$ (depuis 1,3 Milliard de $), en représailles de faits récents : consultation de fims X par certains employés pendant les heures de bureau, loyer de 557 M$ jugé excessif pour de nouveaux locaux, et par dessus tout, incapacité à prévenir l’affaire Madoff. Les défenseurs de la SEC font valoir qu’une telle mesure est aussi inutile que mesquine, dans la mesure où cette réduction de budget n’économisera rien au contribuable américain, les ressources de la SEC venant des sociétés cotées qu’elle contrôle. Mieux : faute de moyens, elle ne pourra qu’infliger moins d’amendes et de pénalités (c’est peut-être le but recherche), diminuant sa contribution à la réduction du déficit américain.
  2. Le budget de fonctionnement de la CFTC2, agence de régulation des instruments dérivés et des matières premières créée en 1974, dont les pouvoirs ont été étendus par la loi Dodd- Frank3 en 2010, a également été réduit sous l’influence des républicains et de la Chambre de commerce américaine (l’équivalent du Medef aux États-Unis). La raison invoquée est l’approche agressive et imprécise du premier Président de la CFTC (Gary Gensler, ancien de Goldman Sachs), auquel le « Big Business » de Wall Street reproche l’absence de règles pour savoir quelles activités figurent dans le domaine de compétence de la nouvelle agence, et quelles sont celles qui sont précisément régulées. Monsieur Gensler a beau mettre en avant le calendrier serré imposé par la loi Dodd-Frank(***), du fait de l’obligation de publication des règles de chaque agence pour le 21 juillet 2011 au plus tard, le résultat des courses est qu’à ce jour, plus de 600 trillions (600 x 1012 $) de dérivés sont toujours hors de contrôle…
  3. Enfin, last, but not least, la dernière surprise en date est venue de la nomination inattendue à la tête de la nouvelle agence de protection des consommateurs4, la CFPB, après que la première présidente pressentie, Élizabeth Warren (Professeur de droit a Harvard qui avait fortement milité pour sa création) ait été coiffée sur le poteau par l’ancien procureur général de l’Ohio, Richard Cordray, nommé par le président Obama. Malgré la nécessité de plus en plus admise aux États-Unis d’accroître la protection des consommateurs américains qui en ont bien besoin (pas d’équivalent de la loi Scrivener ou de la loi bancaire outre-Atlantique, et consommateurs bien isolés devant le rouleau compresseur des publicités souvent à la limite de l’honnêteté, etc.), Élizabeth Warren avait fini par lasser et irriter par son langage très direct beaucoup de démocrates eux-mêmes, à commencer par Timothy F. Geithner , le secrétaire d’État au Trésor américain (équivalent de notre ministre des Finances français). Madame Warren a été belle perdante en souhaitant une pleine réussite à R. Cordray, et prévoit de retourner à Harvard pour y reprendre son enseignement…

 

Réflexions sur ce qui précède : toutes les batailles de budget à Washington ne sont que la partie émergée de l’iceberg. La vérité est bien plus sérieuse : toute la partie conservatrice du pays est profondément hérissée à l’idée de subir de nouvelles régulations (assimilées immédiatement au socialisme rampant qui se déplace avec le couteau entre les dents), et le « consumer power » n’est certainement pas pour demain aux États-Unis. La grande erreur serait de réagir à tout ceci avec nos yeux d’Européens : aux yeux de beaucoup d’Américains, toute tentative (même modérée et nécessaire) de régulation étatique ou fédérale (bien pire !) est perçue comme une atteinte intolérable à la liberté d’entreprendre (pour le Big Business) ou la liberté tout court (pour les citoyens). N’oublions pas que le port du casque à moto n’est pas obligatoire dans tous les États, et que le gouverneur du Texas Rick Perry (qui vient de déclarer à Dallas qu’il avait entendu l’appel de Dieu pour l’inciter à se présenter aux prochaines élections de 2012), a refusé en juin dernier d’interdire de composer des SMS au volant, sous prétexte de ne pas se montrer « tatillon » envers les conducteurs empruntant les routes texanes… (par contre, la conduite en état d’ébriété est bien interdite. Où est la différence ?)

 

Dans la mesure où toutes les nominations de responsables d’agences fédérales doivent être confirmées par le Sénat (ou les démocrates sont majoritaires, mais pas forcément toujours unis), les républicains ont promis de faire tout ce qui était en leur pouvoir pour bloquer la machine… À suivre…

Jean-Luc Peyret

[tabs slidertype= »top tabs »][tabcontainer] [tabtext]1.[/tabtext] [tabtext]2.[/tabtext] [tabtext]3.[/tabtext] [tabtext]4.[/tabtext] [/tabcontainer] [tabcontent] [tab]1.  Securities and Exchange Commission : régulateur boursier mis en place par F.D.Roosevelt en 1933, et dont le premier président fut Joseph Kennedy, père de JFK.[/tab] [tab]2. Commodity Futures Trading Commission. Elle comprend actuellement 3 démocrates et 2 républicains et est contrôlée par un sous-comité d’agriculture de la Chambre des Représentants.[/tab] [tab]3. Loi très volumineuse (près de 3 500 pages) et controversée votée par le Congrès américain à la suite de la crise financière de 2008, et dont le but est d’éviter la répétition d’une autre crise financière, mais dont l’application se révèle très complexe.[/tab] [tab]4. Consumer Financial Protection Bureau, également institue par la loi Dodd-Frank.[/tab] [/tabcontent] [/tabs]