Depuis quelques mois, les principales banques centrales sont mises sur le grill pour ajuster leur politique et se mettre en mesure de contrôler une inflation qui inquiète le monde économique et l’opinion publique. C’est le cas en particulier de notre BCE qui hésite sur une hausse de son taux d’intervention : quand et combien ? La pression s’est accentuée au cours de ces dernières semaines avec la hausse du taux d’intervention de la FED.

Pourtant, les situations économiques auxquelles chacune de ces deux banques centrales doit faire face sont très différentes. Aux Etats-Unis, la hausse des prix s’accélère et l’inflation résulte à la fois des matières premières, de l’énergie, mais aussi des salaires : les prix à la consommation, hors alimentation et énergie ont augmenté de 4,6 % en rythme annuel au mois de mars dernier (graphique 1).

 

Dans le même temps, l’activité américaine a poursuivi son développement en ayant dépassé le niveau antérieur à la pandémie du Covid 19 (graphique 2).

La BCE n’est pas la FED

La BCE n’est pas confrontée au même problème. La hausse des prix n’est intervenue qu’avec retard et surtout la croissance s’est interrompue dès l’été 2021. Au premier trimestre 2022, le niveau d’activité n’a pas dépassé celui du quatrième trimestre 2019 qui a précédé la crise du COVID.

Ces différences sont structurelles : depuis 2010 la croissance a été deux fois plus rapide aux Etats-Unis que dans la zone Euro, avec une hausse des prix comprise entre 2 et 3 % alors que les prix européens n’ont augmenté en moyenne que de 1 %.

Pour ces raisons, le pilotage des taux courts par la BCE n’a pas été le même que celui de la FED. Entre 2015 et 2019, cette dernière a progressivement relevé son taux d’intervention jusqu’à 2,25 % alors que la BCE maintenait le sien sous 0 %. Lorsque le besoin d’inverser les tendances s’est fait sentir, et notamment au début de la pandémie, la FED a pu baisser significativement son taux et revenir à 0 %. Dans le même temps, celui de la BCE n’a pu être significativement modifié (graphique 3).

Graphique 3 : Evolution des taux d’intervention de la FED et de la BCE depuis 2010

 

Aujourd’hui, il est un argument essentiel qui devrait inciter la BCE à relever au plus vite et de façon significative son taux d’intervention : l’euro a perdu plus de 7 % par rapport au dollar depuis le début de la guerre en Ukraine et plus de 15 % depuis un an (graphique 4). Sachant que l’énergie ainsi que la plupart des matières premières minérales et agricoles sont cotés en dollar, les prix du baril, de l’aluminium ou du blé se sont accrus de 7 à 15 % en plus en Europe par rapport à la situation américaine.

 

Relever le taux d’intervention pour redresser le cours de l’euro

Régulièrement, en temps de crise, le dollar constitue la monnaie refuge. Mais il faut remonter aux années 1970 pour voir se conjuguer une crise économique, financière ou géopolitique, avec l’envolée du prix des matières premières. La BCE ne peut rester inactive. Il est nécessaire de renverser les arbitrages sur le placement de trésorerie entre les deux monnaies. Par une hausse significative du taux d’intervention, le retour au cours du printemps 2021 (soit 1,2 dollar/euro) pourrait constituer un objectif atteignable, encore éloigné de la parité de pouvoir d’achat qui, selon l’OCDE, est d’environ 1,45 dollar pour un euro.

 

Mais cela ne sera pas suffisant. Il convient que la hausse des taux à court terme ne pénalise pas l’économie et c’est là que les rachats d’actifs doivent revenir à l’ordre du jour. Jusqu’à présent cet outil n’a été utilisé qu’en complément de l’arme du taux d’intervention, alors trop bas pour pouvoir être encore abaissé. En cela, la BCE a suivi, le plus souvent fidèlement, la FED dans l’accroissement de son bilan (graphique 5).

Travailler la courbe des taux

Menés par la FED depuis 2008, suivi ensuite par la BCE, les rachats d’actifs puis le Quantitative Easing (QE) ont permis de réduire significativement les taux longs. Cela est allé jusqu’à inverser la pente de la courbe des taux : en août 2019, le Bund 10 ans allemand a été inférieur de 0,3 % à l’Euribor 1 mois. Depuis cette date, la BCE a annoncé une réduction progressive de ses achats d’obligations et les taux longs sont remontés. En moyenne sur le mois d’avril 2022, le taux du Bund 10 ans était de 1,5 % supérieur à celui de l’Euribor 1 mois (graphique 6). Comme on peut le voir sur les évolutions de ces deux instruments financiers, il n’y a aucune corrélation à court terme entre les taux courts et les taux longs.  La théorie économique classique veut que la courbe des taux ait une pente positive en raison de la préférence des agents économiques pour le présent. Ces vingt dernières années ont pourtant montré de nombreux exemples de pente négative, avec la prise en compte d’anticipations par ces mêmes agents, notamment sur l’inflation.

 

Le bilan de la BCE se rapproche de 9 000 milliards d’euros en ces premiers mois de 2022, soit environ 75 % du PIB de la zone. Plus de la moitié des actifs sont constitués d’obligations publiques ou privées. Avec un tel volume, la politique suivie par cette institution, quelle qu’elle soit, a nécessairement une forte influence sur le marché obligataire et donc sur le niveau des taux longs.

La Banque du Japon l’a d’ailleurs bien compris, qui affiche officiellement, non plus des objectifs en volume, mais en rendement pour les obligations à 10 ans. En fonction de l’évolution du marché obligataire, elle achète ou vend des titres. Cette politique, menée depuis 2016, s’est inspirée des mesures similaires prises par la FED entre 1942 et 1946.

Il s’agirait donc d’accompagner la hausse du taux d’intervention par une relance des achats d’obligations avec, pour objectif, le retour à une courbe des taux proche de l’horizontal. En cette période de fortes incertitudes économiques cela permettrait de soutenir l’investissement privé. Cela serait aussi bienvenu pour les Etats qui doivent aujourd’hui à la fois financer la transition écologique et compenser la hausse des prix à la consommation pour ne pas enclencher de spirale prix-salaires. Ces dépenses sont toutes aussi nécessaires les unes que les autres.