La détente des marchés ne signifie pas que la crise est finie
L’amélioration récente des conditions de marché dans la zone euro résulte de plusieurs facteurs, y compris quelques signaux encourageants émanant de Berlin et les progrès réalisés par le gouvernement de Mario Monti en Italie.
La perspective d’un « événement de crédit » qui déclencherait le paiement des « credit-default swaps » sur la dette grecque est désormais anticipée par les marchés, sans panique. Mais les problèmes de fond restent non résolus. Même le facteur le plus positif de ces dernières semaines, le succès des opérations de liquidité à long terme de la Banque centrale européenne, n’est guère exempt de risques. Trois éléments apparaissent de plus en plus incontournables.
Premièrement, le cœur de la crise est la perte progressive du statut de référence des obligations souveraines des pays de la zone euro. Dans les économies développées, un actif souverain « sans risque » est la fondation sur laquelle se construit le reste du système financier. Mais dans la mesure où, après la Grèce, ces obligations sont désormais perçues comme porteuses d’un risque de crédit, la fondation se fissure et la défiance engloutit de plus en plus de segments de marché et de pays. C’est ce qui explique la dégradation de la note française, et au train où vont les choses, même l’Allemagne n’est sans doute plus immune pour très longtemps. Pour briser cette spirale de défiance, il faudra créer un actif de référence sous forme d’obligations émises au niveau de la zone euro, soutenu soit par une garantie solidaire des États membres (« eurobonds »), soit par une compétence fiscale fédérale. La création du Mécanisme européen de stabilité (MES) est un petit pas dans cette direction, mais on est encore loin du but.
Deuxièmement, le risque souverain affecte les systèmes financiers nationaux d’une manière qui ne peut être traitée par les outils habituels de résolution des crises bancaires. C’est la raison pour laquelle le plan de recapitalisation annoncé fin octobre 2011, qui évalue les besoins en fonds propres sur la base des prix de marché très volatils des titres souverains, ne peut réussir à faire revenir la confiance. La triste vérité est que la fragilité du système bancaire ne peut être guérie tant que l’architecture budgétaire de la zone euro n’est pas d’abord remise d’aplomb. En attendant, la BCE n’a guère d’autre choix que de fournir sa liquidité à l’ensemble du système, au risque de soutenir des banques insolvables ou « zombies » et de prolonger une mauvaise allocation du crédit. C’est aussi la raison pour laquelle Mario Draghi s’est déclaré défavorable à de nouveaux « stress tests » en 2012.
Troisièmement, les clés de la résolution de la crise ne sont pas des montages innovants d’ingénierie financière, mais des avancées politiques et institutionnelles au niveau européen. La crise accroît les interdépendances politiques de fait, par-delà les frontières des Etats-Nations : la BCE a joué un rôle majeur dans le changement de gouvernement en Italie, la Grèce perd partiellement sa souveraineté économique, Mme Merkel devient un acteur à part entière de l’élection présidentielle française. Mais si les systèmes politiques nationaux perdent leur autonomie, les institutions européennes demeurent trop faibles et insuffisamment démocratiques pour prendre leur place comme lieu de la décision. Elles manquent à la fois de capacité de décision exécutive et de capacité à représenter les citoyens, et des avancées majeures sont nécessaires sur ces deux dimensions qui se renforcent mutuellement. Un bon point de départ serait une représentation égalitaire des électeurs de l’Union au Parlement européen (où les grands pays sont actuellement sous-représentés), comme l’a suggéré à juste titre la Cour constitutionnelle allemande en 2009. Les modifications correspondantes des traités comportent des risques considérables, mais il n’y a guère d’autre option pour assurer la pérennité de l’euro.
Ces défis sont reflétés sur le front grec. La sortie de l’euro provoquerait une contagion désastreuse, mais le système politique grec ne parvient pas à réaliser tout seul l’ajustement nécessaire. Pour rester dans la zone euro, comme la plupart des Grecs semblent le souhaiter, un abandon important de souveraineté économique doit être consenti. Mais ceci n’est possible que si le transfert se fait au bénéfice d’une entité démocratique dans laquelle les citoyens grecs sont parties prenantes.
Le statu quo, même avec le Mécanisme européen de stabilité (MES) et le pacte budgétaire, est intrinsèquement instable. L’accalmie du marché doit être utilisée pour préparer de nouvelles étapes. Sinon, ce sera une nouvelle occasion manquée, avec un prix de plus en plus lourd à payer pour le temps perdu.
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