Les entreprises en situation de stress financier supportent des coûts supplémentaires. On parle généralement de « coûts de la faillite », même si ils apparaissent avant que l’entreprise ne dépose son bilan. Un de ces coûts, identifié par S. Myers en 1977 (1), est la renonciation à des investissements rentables faute de capital. L’article présenté (2) montre empiriquement que le sous-investissement de ces entreprises concerne aussi leur besoin en fonds de roulement (BFR) : les entreprises en crise réduisent le montant de leurs créances clients. Que ce soit par une réduction des délais de paiement ou par recours à l’affacturage, cette réduction contrainte des créances clients représente bien un coût pour l’entreprise.

L’étude porte sur un très large échantillon de grandes sociétés cotées dans le monde (près de 80 000 observations annuelles d’entreprises entre 1978 et 2000). Elle utilise plusieurs mesures du stress financier : des charges d’intérêt plus élevées que l’excédent brut d’exploitation (EBE) pendant deux exercices consécutifs, un niveau d’endettement très élevé pour le secteur, trois années de consécutives de pertes.

Quelle que soit la mesure utilisée, les entreprises dans cette situation réduisent significativement le montant de leurs créances clients (en moyenne de deux à trois jours de chiffre d’affaires), ce qui est conforme à l’intuition (3). Il s’agit bien d’un coût pour ces entreprises : la baisse de leur chiffre d’affaires passe de 20% à 40% lorsque le montant des créances clients baisse fortement (4).

Les auteurs étudient également l’influence du pouvoir de négociation des entreprises sur leur politique de créances en situation de stress financier. Ils montrent que les sociétés des secteurs les plus concentrés (donc celles qui disposent a priori du plus grand pouvoir de négociation) réduisent le montant de leurs créances davantage que les autres.

Un autre résultat intéressant de cet article porte sur le comportement des entreprises qui rencontrent des problèmes de profitabilité (pertes, baisse du chiffre d’affaires, baisse de la profitabilité) mais ne se trouvent pas encore en situation de stress financier. Contrairement au cas précédent, ces entreprises ont tendance à augmenter le montant de leurs créances. Elles « achètent » des parts de marché en finançant leurs ventes ; là encore, l’effet est plus net dans les secteurs les plus concentrés.

 

Ainsi l’évolution du montant des créances clients des entreprises en difficulté est non linéaire : le montant augmente lorsque l’entreprise commence à subir des pertes, puis il diminue fortement quand la solvabilité est mise en cause.
Enfin, les auteurs montrent que leurs résultats s’appliquent aussi pour les entreprises fortement endettées lorsqu’un choc exogène touche leur secteur d’activité. Ils confirment ainsi qu’il existe bien des « coûts de la faillite » mesurables, qui doivent être pris en compte dans le choix d’une structure financière.

(1) S.C. MYERS (1977), Determinants of corporate borrowing, Journal of Financial Economics, n°5, p.147-175
(2) C.A. MOLINA et L.A.PREVE (2009), Trade receivables policy of distressed firms and its effect on the costs of financial distress, Financial Management, vol 68, n°3, p. 663-686
(3) Sans surprise, l’effet est moins net dans les périodes où l’inflation est élevée (puisque toutes les entreprises tendent alors à réduire leurs créances).
(4) Le résultat opérationnel et la performance boursière de ces entreprises sont également affectés par une diminution excessive des créances.

Cet article a été publié une première fois sur Vox-Fi le 12 juillet 2010.