Figure 1 : Projection de l’inflation française par la Banque de France (Indice des prix à la consommation harmonisé, en %).
Figure 1 : Projection de l’inflation française par la Banque de France (Indice des prix à la consommation harmonisé, en %).
Source : INSEE jusqu’au 2e trimestre 2021 et pour le point du 3e trimestre 2021, projections Banque de France sur fond bleuté. Seule l’inflation du mois de juillet était connue pour le 3e trimestre lors de la réalisation de ces projections.

L’inflation en France est en forte hausse depuis le début de l’année

Deux indices de prix permettent de suivre l’évolution de l’inflation des prix à la consommation en France, l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) – établi selon une méthodologie harmonisée pour permettre des comparaisons entre pays de la zone euro et de l’Union européenne – et l’indice des prix à la consommation (IPC) – plus communément utilisé en France. Le glissement annuel (g.a.) de l’IPCH s’élève à 2,7 % et celui de l’IPCH hors énergie et alimentation à 1,7 %, selon les données provisoires de septembre. Ces données ainsi que celles du mois d’août sont conformes aux projections d’inflation de la Banque de France publiées début septembre, pour lesquelles seule l’inflation de juillet était connue. L’inflation en France reste ainsi inférieure à celle de la zone euro, dont le g.a. se situerait en septembre à 3,4 % pour l’IPCH total et à 1,9 % pour l’IPCH hors énergie et alimentation. Autre fait notable, la hausse des prix des produits manufacturés est particulièrement élevée avec un g.a. de 0,8 % sur l’ensemble du 3e trimestre, comparé à une moyenne de 0,0 % sur les années 2010-2020.

 

L’inflation de l’IPC est d’ordinaire légèrement inférieure à celle de l’IPCH, de 0,15 point en moyenne, mais l’écart s’est sensiblement accru depuis le deuxième trimestre 2021. L’inflation IPC s’élève en septembre à 2,1 %, très en dessous de l’inflation IPCH à 2,7 %. Cette différence provient notamment du poids plus élevé dans le panier de l’IPCH de l’énergie (en contrepartie d’un moindre poids des dépenses de santé, car l’IPCH ne prend en compte que les dépenses à la charge des assurés, et non celles remboursées ou payées par l’assurance maladie), dont le prix est en forte hausse.

 

Ces chiffres posent la question d’un retour durable de l’inflation. L’évolution de celle-ci dépendra d’une double dynamique, avec des horizons temporels différents. La hausse actuelle est très certainement temporaire même si elle peut durer encore plusieurs trimestres. Elle reflète une normalisation après le creux de 2020 ainsi que la hausse du prix de l’énergie et des biens manufacturés. À plus long terme, la reprise économique devrait permettre une remontée plus durable de l’inflation du niveau général des prix et des salaires.

 

L’inflation élevée en 2021 s’explique en partie par une normalisation après sa forte baisse de 2020

En France, le redressement de l’IPCH depuis le début de l’année reflète en partie des effets de base sur l’énergie et les services, par nature temporaires. En 2020, le prix du pétrole avait connu une forte baisse. Parallèlement, les mesures de restriction sanitaire avaient entrainé une baisse de la consommation et des prix des services, en particulier des services privés tels que les transports et l’hébergement. Prendre ces niveaux de prix très bas comme référence pour calculer l’évolution des prix produit mécaniquement un glissement sur un an dynamique. L’effet de base sur l’IPCH total se voit lorsque l’on compare le glissement sur un an avec le glissement sur 2 ans en rythme annualisé (figure 2) : au 3e trimestre 2021, l’IPCH a augmenté de 2,2 % par rapport au 3e trimestre 2020, mais seulement de 1,3 % en rythme annualisé depuis le 3e trimestre 2019, soit un rythme proche de la tendance pré-Covid.

 

Figure 2 : L’inflation élevée en 2021 reflète en partie un effet de base après l’inflation faible de 2020 (IPCH en France, glissement annuel et glissement sur deux ans annualisé, %)

Figure 2 : L’inflation élevée en 2021 reflète en partie un effet de base après l’inflation faible de 2020 (IPCH en France, glissement annuel et glissement sur deux ans annualisé, %)

Source : INSEE

Le fort rebond des prix de l’énergie se répercute sur l’inflation

À la hausse du prix du pétrole largement tirée par l’effet de base décrit plus haut s’ajoute une envolée des cours du gaz depuis le mois de juin 2021, avec une hausse des prix au détail (tels que mesurés dans l’IPCH) qui atteint 27% sur un an en août 2021. Le prix réglementé de l’électricité devrait connaître une hausse plus limitée, de 4 %, en février 2022, reflétant partiellement la très forte hausse du prix sur les marchés de gros. Une part de l’inflation induite par ces hausses de prix est temporaire. Le marché des prix à terme du gaz naturel anticipe ainsi un fort recul des prix au 2e trimestre 2022, une fois passée la forte demande liée à la reconstitution des stocks et à la saison hivernale. On ne peut cependant exclure que les tensions actuelles se prolongent un peu plus longtemps. En outre, les politiques de transition énergétique pourraient induire à l’avenir une tendance à la hausse du prix relatif de ces produits fortement carbonés, même si l’effet sur l’inflation française devrait être limité par les faibles émissions de CO2 de la production électrique nationale.

 

La hausse de l’inflation hors énergie reflète des tensions sur les prix industriels, provoquées par des désajustements entre offre et demande suite à la réouverture de l’économie mondiale

La réouverture de l’économie mondiale a provoqué une soudaine reprise de la demande, qui s’est davantage portée vers les biens du fait des restrictions sanitaires ou des changements de comportement affectant encore le secteur des services. Dans le même temps, dans un contexte de faible niveau des stocks, le redémarrage des chaines d’approvisionnement mondiales a été perturbé par des problèmes logistiques, par exemple dans le transport par containers, et des difficultés de production de certains types d’intrants comme les semi-conducteurs. Il en résulte une envolée des prix mondiaux des matières premières industrielles et des biens intermédiaires. Ces hausses se transmettent ensuite aux prix à la consommation des produits manufacturés qui marquent en effet une accélération notable en France au 3e trimestre 2021, à 0,8 %. De fait, en glissement sur deux ans (afin de neutraliser les effets de base liés au choc Covid de 2020), les prix à la consommation ont nettement accéléré pour les prix des produits manufacturés, alors que ce n’est pas le cas pour les prix des services (figure 3).

Figure 3 : Accélération du prix des produits manufacturés mais pas du prix des services par rapport à leur rythme pré-Covid (IPCH, glissements sur 2 ans en rythme annualisé, %)

 

Figure 3 : Accélération du prix des produits manufacturés mais pas du prix des services par rapport à leur rythme pré-Covid (IPCH, glissements sur 2 ans en rythme annualisé, %)
Source : INSEE

La hausse actuelle de l’inflation sera-t-elle durable ?

La hausse du prix des intrants industriels et des matières premières a surpris par son ampleur et sa durée. Il est en effet très difficile de prévoir le moment où l’inflation atteindra son point haut. Certains prix, comme ceux du bois et des métaux ferreux, ont déjà dépassé leur pic et sont en forte baisse. D’autres, comme ceux du caoutchouc, des métaux non ferreux ou des matières premières agricoles, poursuivent leur hausse (figure 4). Par ailleurs, certains analystes craignent que les difficultés de production de semi-conducteurs et de transport par containers durent encore plusieurs trimestres.

Figure 4 : Prix de quelques matières premières (indice 100=2018)

 

Figure 4 : Prix de quelques matières premières (indice 100=2018)
Source : INSEE

Le risque inverse existe aussi : les épisodes précédents de forte hausse du prix des biens manufacturés (2002−03 et 2011−12) ont été suivis de baisses de prix qui ont pesé sur l’inflation totale. En particulier, le fléchissement possible de la croissance chinoise, en lien notamment avec les difficultés du marché immobilier, pourrait mener à un recul de la construction qui pèserait sur le prix des matières premières mondiales.

En prenant en compte ces différents facteurs, la projection de la Banque de France publiée en septembre prévoit un pic d’inflation à 2 3/4 % fin 2021, suivi d’un contrecoup en 2022. Le risque principal autour de cette projection est que la hausse actuelle de l’inflation soit plus forte et dure plus longtemps. Après avoir reflué, l’inflation devrait revenir en 2023 sur une pente ascendante mais plus graduelle (figure 1), avec une inflation moyenne de 1,3 % sur l’ensemble de l’année 2023.

 

Dans un contexte de reprise économique et une fois dissipés les facteurs temporaires de hausse, l’inflation reviendrait sur une tendance légèrement ascendante tout en restant en deçà de 2% à l’horizon 2023.

 

En effet, une fois passés les effets temporaires décrits précédemment, qui pourraient durer encore plusieurs trimestres, l’inflation devrait être dominée par une seconde dynamique : l’accélération graduelle du niveau général des prix et des salaires en lien avec la bonne tenue du marché de l’emploi. La reprise de l’activité, en particulier de l’emploi, devrait se transmettre progressivement aux salaires et aux prix. Alors que la première dynamique concerne le prix de l’énergie et des biens manufacturés et se produit rapidement sous l’effet des hausses subites du prix des matières premières, la seconde dynamique concerne également l’inflation du prix des services et serait plus graduelle.

 

Dans cette seconde phase, les salaires réagiront à la fois aux hausses de prix constatées et à la reprise du marché du travail. Cette réaction pourra être amplifiée par les difficultés de recrutement, qui affectent aujourd’hui de nombreuses entreprises. La transmission des salaires aux prix dépendra de l’évolution des marges des entreprises, qui se situent actuellement à un niveau très élevé. Prix et salaires dépendront aussi de l’évolution des anticipations d’inflation des ménages et des entreprises. Les anticipations à moyen terme mesurées à partir des instruments financiers indexés sur l’inflation, qui étaient tombées à moins de 1% pour la zone euro au début de la crise, ont certes nettement remonté, mais elles restent encore sensiblement en dessous de 2%.

 

L’inflation IPCH en France projetée par la Banque de France est de 1,3 % en 2023. Celle de la zone euro projetée par la Banque Centrale Européenne est de 1,5 %. Même en prenant en compte les différents aléas sur la durée des facteurs temporaires et sur l’évolution des salaires, le scénario le plus probable est que l’inflation en 2023 reste inférieure à 2 % dans ces deux zones.

 

 

Cet article a été publié dans les Bloc-Notes Eco de la Banque de France. Il est repris par Vox-Fi avec due autorisation.