« C’est de la folie, c’est un suicide collectif ! » C’est en ces termes que le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres a décrit la situation de notre monde, le 10 septembre dernier, lors de sa visite au Pakistan, pays dévasté par des inondations monstres.

Alors que la maison brûle, au sens littéral du terme en France comme dans de nombreux autres pays dans le monde, les pompiers auto-déclarés du secteur de la finance négocient encore la dimensions des tuyaux afin d’épargner l’eau de la piscine et du jacuzzi.

Les effets dévastateurs de l’économie sur-financiarisée sur l’environnement et l’humain sont avérés.

La transformation réelle et profonde du secteur de la finance pour une prise en compte globale des aspects environnementaux et sociétaux n’est plus une option, mais une urgence, qui requiert une intervention bien au-delà de ce que la pratique actuelle de l’ESG est en mesure d’accomplir.

 

Devrait-on se réjouir de l’effervescence de la finance responsable ?

À première vue, le non-initié pourrait croire que la finance bouge dans le bon sens.

En effet, si on regarde les chiffres, la croissance de la finance verte/responsable/durable a été phénoménale ces dernières années ! On estime que plus de 41 mille milliards d’actifs seront investis dans des fonds ESG en 2022.

Du côté des régulateurs et des organes de standardisation, on s’affaire en planifiant, consultant, en annonçant des directives “améliorées et renforcées” : TCFD, SFDR, Taxonomie Européenne, CSRD, et même la naissance de l’ISSB au sein de l’IFRS.

Malgré cela, malheureusement très rares sont ceux qui veulent réellement changer leur approche d’affaires.

 

Que font alors les acteurs de la finance ?

Malgré cette apparente effervescence, dans l’ensemble, les acteurs de la finance ne sont pas au rendez-vous : les mesures prises ne sont pas, et loin s’en faut, à la hauteur des enjeux.

La notation ESG, massivement utilisée ces dernières années pour identifier les investissements verts, ne considère principalement que l’influence des facteurs ESG sur les performances financières d’une entreprise (matérialité simple). Et elle ne tient pas compte des effets de l’entreprise sur l’environnement et la société (matérialité double).

Ce dernier point sur la matérialité est crucial : il s’agit de savoir si on exige uniquement la divulgation des risques financiers que la dégradation environnementale et sociale fait peser sur le rendement de l’entreprise (matérialité financière), ou si on exige aussi d’inclure la divulgation des impacts qu’a l’entreprise sur l’environnement et la société. C’est ce qu’on nomme l’approche de double matérialité. Qui seule, permettra de donner une vision claire et factuelle de l’impact réel qu’ont chacune des entreprises sur notre monde.

 

La solution à mettre en place est connue

Ce qui doit être fait pour entraîner le changement systémique qui permettra de tenir compte de l’impact environnemental et sociétal sur notre économie est bien connu des initiés de la question et son efficacité démontrée. Il s’agit d’obliger les entreprises et des institutions financières à rendre compte des effets de leur activité sur l’environnement et notre société, avec un standard de reporting aussi élevé que ceux observés pour les données financières.

C’est en 1933, suite à la grande dépression de 1929, que s’est imposée la volonté internationale de stabiliser les marchés. Les acteurs de ces derniers se sont vu imposer un standard commun apportant rigueur et uniformité quant au format et à la complétude des rapports sur les données financières et l’obligation d’une vérification annuelle par des tiers de confiance.

Voilà exactement ce qui doit être mis en place concernant la divulgation des données extra-financières : un standard commun avec une approche de double matérialité, donnant un portrait complet des impacts négatifs à traiter et des impacts positifs générés, avec des indicateurs contextualisés, utilisant un langage commun (les ODDs) et vérifié par des tiers de confiance.

 

Les acteurs du secteur financier doivent réapprendre leur métier

Puisqu’ils doivent jouer un rôle de premier ordre pour que nous réussissions notre transition vers une économie à impact positif, les acteurs du secteur financier doivent réapprendre à investir et à prêter.

En effet, l’intégration de données extra-financières dans tous leurs plans d’affaires requiert une gestion du changement à tous les niveaux de l’organisation. Et la prise en compte de ces nouvelles données que ce soit pour la gestion du risque, l’analyse crédit, le reporting, la fabrication de nouveaux produits ou la gestion de portefeuille, nécessite de la part de tous les professionnels une formation et mise à niveau conséquente.

 

Devenez leader de la révolution du secteur financier

Certaines institutions financières, trop peu nombreuses, voient déjà cette transformation comme une opportunité business, et elles investissent dans leur transformation et dans l’obtention de données extra-financières beaucoup plus complètes, rigoureuses et vérifiées pour accomplir leur travail.

C’est en effet aux dirigeants d’institutions financières de donner le ton et de devenir leader de cette révolution qui ne pourra avoir lieu sans leur engagement massif et sans réserve. Car une chose certaine, face à l’ampleur du défi, les petits gestes ne suffiront pas.

Dans ce contexte de crise mondialisée, le CNUCED alerte sur la diminution des projets d’investissement pour le lutter contre le changement climatique. Pourtant le système énergétique continue d’être largement dominé par les énergies fossiles à des niveaux quasi similaires à ce qu’il y a une dizaine d’années. “La transition énergétique n’a pas lieu” déplore le REN21. Rien que pour l’Europe, il faudrait investir 1 120 milliards €/an entre 2021 et 2030. Qui aura donc le courage de rediriger véritablement et de manière systématique les capitaux qu’auprès de ces entreprises abordant sérieusement leur transformation durable ?

Malheureusement pour le moment, ceux qui veulent vraiment changer leur approche business ne sont que très peu nombreux. Et ce malgré le travail effectué avec “Finance for Tomorrow” et la récente décision de l’ISSB de la nécessité de comptabiliser et de reporter des émissions de gaz à effet de serre du scope 3 et selon les règles du GhG protocol.