On n’a pas fini de parler de la décision du gouvernement d’aligner les revenus du travail et du capital. La réforme est venue trop vite et sans vrai examen des effets ricochet. Il faut s’attendre à beaucoup de rustines sur cette règle fiscale, rendant les choses peu lisibles et parfois peu équitables. Un régal pour les conseillers fiscaux. On a vécu ça sur l’ISF.

Il y a eu l’amendement « pigeons », puis l’exonération des revenus mobiliers du fameux 75%. Penchons-nous à présent sur l’assurance-vie, qui garde son statut dérogatoire.

Elle devient le placement intéressant du moment. Leur taux garanti, pour les contrats dits en euros, soit l’écrasante majorité des contrats, est aujourd’hui à un minimum historique, disons autour de 3%. Mais la fiscalité qui pèse sur eux devient, par comparaison avec les autres placements, tout à fait gentille : 7,5% de prélèvements au moment de la sortie, plus la CSG/CRDS de 15,5%, soit un total de 23%.

Par comparaison, la plupart des autres revenus mobiliers sont taxés à l’IR, soit un taux de 45% pour les revenus élevés, qui sont les très gros détenteurs d’assurance-vie. S’ajoute à cela les 15,5% de CSG/CRDS. Cela fait un prélèvement de 60%, un peu moins pour les revenus de dividendes qui continuent de bénéficier d’un abattement de 40% au titre de l’IR.

Autrement dit, pour battre le rendement brut de 3% d’assurance-vie, soit 2,3% après impôts, il faut une rémunération double (5,8%) des placements alternatifs, actions ou obligations. C’est un rendement hors de portée pour tout placement en obligations d’entreprise, et très aléatoire pour le placement en actions. Sans compter, pour l’assurance-vie, son exonération de l’ISF et des droits de succession dont ne bénéficient pas les autres produits d’épargne.

L’épargne française va donc être canalisée davantage encore en assurance-vie ; et un peu moins en financement direct des entreprises françaises, puisque les contrats d’assurance-vie en euros sont massivement immobilisés en emprunts d’Etat. A-t-elle besoin de ce joli coup de pouce ? En 2010, disent les comptes de patrimoine de l’INSEE, elle représentait 40% du portefeuille des ménages patrimoine et plus de 45% pour les ménages du décile le plus haut en terme de revenu. Le placement en actifs risqués, actions et OPCVM, n’est que de 10%.

On retrouve ici le privilège de l’Etat, qui canalise prioritairement les ressources d’épargne. La crise financière illustre à l’envi les dangers d’une imbrication entre le risque Etat et le risque bancaire. Mais on peut aussi s’interroger sur l’aspect égalitaire de cette situation quand on sait que sur les près de 1.500 Md€ d’encours d’assurance-vie en 2010, le décile le plus riche des ménages français en détient près de 80%.

Que va-t-il se passer ? On peut être optimiste et penser que les épargnants ne vont pas abandonner le placement actions, mais plutôt le transférer au sein de contrats d’assurance-vie, dit en unités de compte (UC), pour échapper à l’impôt. Mais, sauf pour les plus avisés d’entre eux, il est probable que l’épargnant abandonne le support actions ou obligations d’entreprise. Il est possible aussi que l’Etat, en peine de ressources fiscales, grignote progressivement l’avantage de l’assurance-vie.

Jusqu’ici, le lobby des assureurs a toujours fait reculer les tentatives des gouvernements successifs de toucher au statut fiscal de l’assurance-vie. Mais ces derniers ne se battaient jamais très forts, conscients de la nécessité de sécuriser les sources de financement à bas coût de l’Etat, faute d’être capables de gérer plus efficacement ses dépenses. Ils troquaient un manque à gagner fiscal contre une sécurisation du financement. Sachant la fragilité des finances publiques dans les années à venir, il est probable que l’Etat laisse les choses en l’Etat.

Un regard d’ensemble s’impose. La réforme fiscale d’alignement des revenus du travail et du capital, ne touchant ni l’assurance-vie, ni l’épargne salariale, ni certains livrets d’épargne réglementée, ni bien sûr les comptes à vue qui n’ont pas de rémunération, ne touche au total guère plus de 25% du patrimoine financier des Français (hors détention d’actifs professionnels), et donc prioritairement la détention d’actions et d’obligations d’entreprise. Ce n’est pas vraiment bon pour les entreprises françaises.