Au cours de la pandémie, la France a-t-elle franchi une étape décisive dans le développement de la responsabilité sociale des entreprises ? Le Ministère de l’Economie et des Finances a publié un rapport sur « l’investissement à impact » répondant aux Objectifs du Développement Durable fixés en 2015 et à la loi Pacte votée en 2019. Il affiche l’ambition de « faire de Paris le premier centre financier mondial de la finance à impact ». Il a créé avec Paris Europlace une plateforme de réflexion afin « dintégrer de façon systématique et traçable » des critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG) à la gestion financière des entreprises.

 

Les projets à impact sont définis comme des « investissements socialement responsables » recherchant une rentabilité économique et un impact social, sociétal ou environnemental, à la fois « mesurable, intentionnel et positif ». La mesure des impacts mobilise de nombreuses parties prenantes, tant publiques – notamment l’Autorité des Marchés Financiers et plusieurs agences – que privées : entrepreneurs, investisseurs, banques, compagnies d’assurances, fonds d’investissement, fonds de capital-risque, gestionnaires d’actifs, régulateurs boursiers… Le Ministère a également lancé en partenariat avec l’ADEME, des nouvelles formes de « partenariat à finalité sociale et environnementale », des contrats à impacts « Économie circulaire », « Égalité des chances économiques », « Accès à l’emploi » …

Mais l’identification, la mesure et la valorisation des impacts soulèvent de multiples difficultés. Les méthodes d’évaluation socio-économique des impacts doivent-elles suivre la logique adoptée en France à partir des années 1960 par le Commissariat général du plan, pour évaluer la rentabilité des investissements publics ? Le modèle de Rationalisation des Choix Budgétaires conçu par Jacques Lesourne et Marcel Boiteux, reposait notamment sur une prévision de la rentabilité économique d’un projet, complétée par une analyse Coûts – Avantages basée sur une estimation des « effets non marchands » sur l’emploi, la santé publique, la qualité de l’air… Les pratiques actuelles des comités d’impact des grandes entreprises s’orientent vers un modèle de calcul par addition de la valeur économique standard d’un projet (estimée par la méthode de la Valeur Actuelle Nette) et de sa valeur socio-environnementale. Cette dernière inclut notamment la valeur du bien être engendré par un projet, les dépenses évitées à l’investisseur (pour dépollution, amendes, défense de l’image…) et divers coûts environnementaux (de décarbonisation, de restauration des sols…). L’agence France Stratégie établit ainsi des calculs-types des effets du bien-être, des coûts de la vie humaine, de la carence de diplômes, de la délinquance, du dérèglement climatique, du recyclage des déchets…

 

Dans le cadre d’un projet « 0 carbone », le comité d’impact suit une procédure comportant quatre étapes destinées à déterminer le périmètre des impacts « empreinte carbone » et leurs durées de vie, à classer les facteurs d’émission de gaz à effet de serre, à identifier les procédés de décarbonisation, à valoriser les émissions en fonction des types de matériaux utilisés, puis à planifier les actions et à publier le bilan carbone. La valorisation des impacts rencontre à ces différents stades des problèmes suscités par l’incertitude attachée à certaines hypothèses, comme la valeur à long terme de la tonne de carbone, le coût du capital, le seuil de rentabilité des investissements bas carbone, la valeur du capital immatériel (apports de compétences, gains d’image …) engendré par la décarbonisation, l’hétérogénéité des données et l’imprévisibilité des horizons des projections.

 

Dans le domaine environnemental, les firmes industrielles mènent par ailleurs des actions en faveur de la réduction du bruit (isolation des bâtiments, traitement des revêtements des routes, installation de parois anti-bruit…) et de la protection de l’eau et des sols (préservation des cours d’eau et des nappes phréatiques, isolation des réseaux d’alimentation et d’évacuation des eaux…), ainsi que plus récemment, du rétablissement de la biodiversité (par des couloirs de franchissement des routes et par des clôtures de protection). Les valeurs créées par ces initiatives s’expriment notamment en termes de maladies – et donc de coûts sanitaires – évitées, ou d’espèces animales et végétales préservées. Dans le domaine social, le personnel de l’entreprise et de ses sous-traitants est exposé à des accidents du travail et à des atteintes à la santé, dont la prévention exige des formations et des équipements de sécurité et de confort. La plupart des entreprises s’efforcent d’apporter un certain « bien- être au travail » dont les effets attendus sont multiples : plus grande productivité, meilleure attractivité des emplois, limitation des arrêts de travail, des grèves et des démissions. L’évaluation des impacts sociétaux soulève des difficultés particulières. Dans la plupart des secteurs d’activité, ces effets sont variés et diffus : sécurité des usagers des édifices et des infrastructures, création d’emplois locaux, contributions à certaines initiatives collectives… Si leurs coûts sont généralement mesurables, leurs effets positifs ne sont souvent observables qu’à long terme.

La renaissance des calculs socioéconomiques appliqués aux écosystèmes des entreprises est rendue possible par les avancées de l’Intelligence Artificielle et des recherches sur les origines et les natures des impacts. Elle comporte des enjeux déterminants pour le devenir du développement durable et de la responsabilité sociale des entreprises.

 

Cet article a été initialement publié sur Vox-Fi le 3 février 2022.