Le plan Obamacare – couverture sociale à l’américaine – sera-t-il l’arbitre du prochain scrutin américain ?

Avec l’ouragan Sandy qui vient probablement de chambouler la donne pour les élections américaines, est-ce que le plan Obamacare n’est-il pas l’ultime arbitrage inconscient dans le vote des américains entre démocrates et républicains ?

Les États-Unis ont gardé l’esprit pionnier de la conquête de l’Ouest, avec tous ses contrastes : fierté d’être Américain et de la réussite sociale, respect de la collectivité et discrimination positive, mais aussi dérives d’un capitalisme poussé à l’extrême, individualisme et misère sociale pour les plus démunis.

Pendant plus d’un siècle, le Congrès a débattu d’une couverture santé. Le président républicain Théodore Roosevelt la citait dans son programme, le président démocrate Lyndon Johnson avait promulgué le Medicare et Medicaid (personnes âgées et personnes pauvres) et le président démocrate Bill Clinton avait échoué à faire évoluer l’assurance santé.

Enjeu certain des prochaines élections américaines, l’Obamacare divise la population américaine ; au point que le candidat républicain Mitt Rommey, ayant ouvertement considéré que les bénéficiaires de ce programme de santé ne voteraient pas pour lui, a délégué, avec intelligence à son vice-président – plus proche de la ligne dure des républicains – une approche différente, peut-être plus consensuelle ou tout au moins plus acceptable politiquement : maintien du programme mais meilleure maîtrise des coûts au niveau fédéral. En effet, une grande part du pays, bien que consciente des problématiques sociales des plus démunis, reste, malgré tout, hostile à tout renforcement du pouvoir fédéral. Cette réforme de la santé a été votée en 2010, après de multiples débats avec la Chambre des représentants – en 2009, lors du vote de la Chambre des représentants, 220 voix pour, dont une voix républicain, contre 215 voix contre, puis par le Sénat le 30 décembre 2009, par 60 voix pour contre 39 voix contre, toutes républicaines. Barack Obama et les démocrates ont très vite compris que leur base électorale – population noire et «latinos» à la limite de la pauvreté, seniors, génération du baby-boom des années 1960 en âge de prendre la retraite – attendait une telle réforme. Cette population ne pouvait prétendre financièrement à bénéficier d’un minimum de soins médicaux. Mettre en place une sécurité sociale à l’américaine est alors devenu le fer de lance du couple Obama en vue de sa réélection.

Sujette à de multiples recours jusqu’à la Cour suprême, finalement confirmée comme conforme à la Constitution le 28 juin 2012, cette réforme de la santé permet la création d’une assurance santé universelle pour garantir une couverture maladie – cependant obligatoire pour les enfants de moins de 10 ans, sous peine de sanctions financières – à 32 millions d’Américains qui n’en ont pas, soit près de 15 % de la population. Mais la question centrale qui demeure est : comment convaincre les Américains, farouchement attachés à la liberté individuelle, d’acheter cette couverture sans réellement les forcer ?

Des subventions seront accordées par le gouvernement fédéral pour aider les familles aux plus bas revenus (inférieurs à 88 000$ par an) à payer leurs cotisations. De même, les entreprises de plus de 50 salariés (PME et commerçants) devront fournir une couverture à leurs employés sous peine de pénalités. Même si  l’absence d’un régime public universel laissera environ 5 % des résidents américains (contre 15 % auparavant) sans réelle protection individuelle, cela demeure toujours un pas de géant vers une protection médicale généralisée dans un pays profondément attaché au libre-arbitre individuel.

La loi inclut non seulement le niveau des honoraires des médecins qui acceptent de traiter des patients Medicare, mais vise aussi à accélérer la mise sur le marché de versions génériques en lieu et place des médicaments issus des nouvelles biotechnologies, tout cela avec l’objectif de réduction des coûts de traitement. Elle aura donc des conséquences directes sur le lobby de l’assurance santé et des grands laboratoires pharmaceutiques (ce qui explique leur proximité avec les républicains).

Le plan d’Obama interdit également aux compagnies d’assurance de rejeter certains assurés en vertu des pre-existing conditions. Cette arme redoutable les autorisait à refuser toute inscription d’un nouvel assuré déjà sujet à des traitements importants (le remboursement d’une chimiothérapie par exemple), mais sans couverture de soins (résiliation par le précédent assureur ou impossibilité de faire face aux appels de cotisations). Interdire la discrimination de la part des compagnies d’assurance, mais aussi élargir la base à des sujets en bonne santé pour équilibrer les coûts induits par les patients en traitement médical, tel est le challenge auquel ce programme doit faire face pour éviter une inflation galopante des coûts.

D’un autre côté, l’industrie hospitalière a beaucoup à perdre de toute remise en cause de l’Obamacare : en effet, elle a accepté de réduire ses coûts hospitaliers de 155 Md$ en contrepartie de l’application de l’engagement de ce programme pour les retraités et les jeunes de moins de 10 ans. L’objectif est de réduire drastiquement le coût consécutif à l’absence totale de couverture pour certains patients qui sont, malgré tout, admis et traités par l’hôpital. Reste le niveau des dépenses acceptables, à considérer sous l’optique américaine du rôle des instances fédérales dans l’économie? Pour cela, faisons un point sur l’évolution des dépenses de couverture sociales en pourcentage du produit intérieur brut : pratiquement 0 % en 1972, 2 % en 2000, près de 4 % en 2008 jusqu’en 2020 (suite à une refonte du système par Obama, ce qui a permis de réduire les dépenses de près 700 Md$), les prévisions sont de 6 % en 2035 et plus de 7 % en 2050.

Avec son attitude et celle des républicains contre la mise en place de cette sécurité sociale à l’américaine, Mitt Romney a été obligé de trouver un compromis avec un électorat qui lui échappait. Il a donc confirmé qu’il garderait le système proposé, mais qu’il le remplacerait par son plan qui devrait voir des dépenses contenues à 5 % maximum en 2050 : ainsi, l’achat volontaire ou non d’une assurance pour bénéficier du remboursement de frais médicaux serait remplacé par l’attribution d’un crédit permettant l’achat d’une assurance pour une couverture définie de soins médicaux. Dans un pays toujours viscéralement hostile à l’assistanat et aux dépenses fédérales, mais devant une population vieillissante et une forte immigration exclue de la couverture sociale, le débat fait rage. Quel que soit le résultat de cette élection, l’individualisme américain devra s’incliner face aux coûts des soins médicaux pour les seniors, les immigrants et les faibles revenus. Mais le vrai débat durant ces élections et dans le futur portera plus sur le niveau acceptable de dépenses publiques dans un programme d’assistance médicale pour la population que sur la nécessité d’un accès des plus déshérités aux soins médicaux.

Une révolution est en marche dans un pays qui a érigé l’absence d’intervention fédérale comme un principe de vie: « Aide-toi, le Ciel t’aidera » !