À part quelques banquiers et chefs d’entreprises, qui sait ce qu’est l’assurance-crédit ? Il s’agit pourtant d’une forme d’assurance devenue indispensable dans la vie économique perturbée que nous connaissons. Elle offre aux entreprises la possibilité de surveiller la solidité de leurs clients et de se garantir contre leurs défaillances.

Son origine est britannique et française, pour des besoins toutefois différents.

En Grande Bretagne, les chefs d’entreprises avaient compris très vite que leur croissance passerait par des ventes hors de leur île. Du fait de l’éloignement des clients, de leurs langues et systèmes comptables différents, de la difficulté à recueillir des informations sur les acheteurs éloignés ou à recouvrer les créances en défaut, ils ont été incités dès les années 20 à trouver des assureurs garantissant leurs risques d’impayés.

En France, c’est moins cet aspect qui a joué que l’importance prise par le crédit fournisseur. À son origine, la traite commerciale était un outil financier qui permettait à un acheteur d’obtenir un délai de son fournisseur pour lui permettre de transformer la marchandise achetée et régler sa dette après la vente de sa propre production. Bien vite, la traite est passée du rang d’instrument financier à celui d’argument commercial. Lorsqu’on ne pouvait plus lors d’une vente se battre sur le produit ou sur le prix, c’est le montant du crédit à l’acheteur qui faisait la différence. Dès lors, sont apparues des durées de 120 jours fin de mois, de compte arrêté le 15, voire plus, extraordinaires comparées aux autres pays. Les encours unitaires sur un acheteur devenaient tels qu’en cas d’impayés, le chef d’entreprise perdait beaucoup plus que sa seule marge commerciale. Là encore, le souci de se prémunir contre une défaillance du client a entraîné la création de l’assurance-crédit.

Bien vite, les raisons britanniques et françaises se sont rejointes. A contrario, l’assurance-crédit s’est encore peu développée aux États-Unis, à la fois en raison de délais clients courts et de la faiblesse des ventes à l’export, le marché intérieur suffisant largement à la croissance des entreprises américaines.

Ainsi, aujourd’hui c’est en Europe que se situe le centre de l’assurance-crédit. C’est là que sont proposées les meilleures polices couvrant les risques d’impayés dans le monde. Les trois grands acteurs du secteur sont européens, et français pour deux d’entre eux : Euler-Hermès, Atradius et Coface. Ils sont entourés de courtiers, souvent spécialisés, qui participent à la vitalité de l’offre.

Pourtant nul n’est prophète en son pays puisque nos grandes écoles de commerce n’incluent quasiment pas de cours sur ce sujet dans leur programme. Nos plus brillants étudiants ignorent cette technique. On leur apprend qu’en haut de l’actif, il y a des immobilisations que l’on peut garantir contre les risques divers, que plus bas, il y a des stocks qui sont des immobilisations un peu plus liquides, qui peuvent également être garanties… Le discours s’arrête là. Alors que les entreprises atteignent souvent un niveau de 30 à 40% pour la part de leur actif constitué par les créances qu’a l’entreprise sur ses clients, aucun temps n’est consacré à la façon de les garantir. C’est curieux, non ?

Rappelons quand même qu’il y aura toujours des acheteurs et des vendeurs sur la planète, et ces derniers se demanderont toujours s’ils seront payés. Pourquoi dans ces conditions ne pas banaliser l’assurance-crédit à la fois dans l’enseignement et pour les chefs d’entreprises. La technique est devenue multiforme puisque les contrats s’appliquent à tous les besoins et à toutes les modalités commerciales et financières. De plus, si elles cèdent leurs créances à des tiers, les entreprises auront d’autant plus facilement accès à des financements intéressants, ou même à la déconsolidation, si ces créances sont protégées du risque de défaut.

Je trouve dommage qu’il faille attendre d’être sur le terrain comme credit manager, directeur financier ou directeur général pour découvrir l’assurance-crédit, hélas parfois après avoir été victime d’un impayé.

L’Asie, qui sait très bien vendre, a perçu avec retard l’intérêt de l’assurance-crédit, pour les mêmes raisons qu’aux États-Unis, mais aussi parce que les autorités ont souvent concédé un monopole aux assureurs locaux, empêchant jusqu’à récemment les Européens d’aborder ce marché. Le revers de cette protection est de rendre les acteurs locaux moins performants et ingénieux. Tout va vite, cependant. L’assureur-crédit chinois Sinosure, créé il y a neuf ans, a désormais un volume de primes supérieur à celui de Coface née il y a plus de 65 ans !

Une telle croissance peut inquiéter les assureurs-crédit européens. Mais elle peut tout autant stimuler des accords de partenariat. Qu’on songe notamment à l’intérêt pour ces nouveaux acteurs de bénéficier des formidables bases de données collectées sur des dizaines de millions d’entreprises de par le monde. (Chacun des grands assureurs occidentaux surveillent entre 30 et 40 millions de sociétés !)

Quels types de produit propose l’assurance-crédit ?

Le plus ancien et le plus commun est une assurance qui s’applique, avec flexibilité, à la totalité des acheteurs. Au-delà d’une limite de risque, l’assuré interroge son assureur sur la garantie qu’il recherche sur chaque acheteur. C’est le dialogue qui est original dans cette forme de couverture. Car la première vocation de l’assurance crédit n’est pas d’indemniser son assuré d’une perte subie sur un client, mais de la lui éviter par une bonne prévention, née notamment d’un dialogue assureur, assuré et acheteur final.

L’assurance « en excédent de pertes » ou « excess of loss » est un produit plutôt réservé aux entreprises de taille importante. Il permet de se prémunir contre un cumul de défaillances imprévisibles pouvant impacter la situation financière, voire le cours de bourse. L’entreprise fixe le plafond d’une franchise qu’elle souhaite conserver à sa charge ainsi que le montant maximum de l’indemnité qu’elle entend recevoir.  Certains de nos clients américains ont été bien avisés de souscrire ce type de garantie lorsque General Motors s’est trouvé insolvable. Qui l’aurait imaginé ? Le too big to fail est une certitude… tant qu’on n’a pas failli !

Il est possible aussi de se prémunir sur quelques clients seulement, avec ce qu’on appelle les polices « single buyer ». C’est notamment adapté pour les opérations de trading impliquant un nombre de clients limités mais chacun avec des encours de crédit importants.

Enfin, les polices d’assurance-crédit garantissent en plus du risque de défaillance commerciale, les risques dits politiques, tels un embargo politique à l’import ou l’export ou lié à l’impossibilité du transfert de devises ; ou encore une catastrophe naturelle qui empêche une transaction commerciale. La situation politique qui prévaut aujourd’hui dans beaucoup de pays permet de ne pas avoir à prouver l’intérêt de ce type de garanties.

En conclusion, ces quelques lignes n’ont d’autre but que de souligner l’importance d’une technique destinée à éviter que les ardoises subies par les entreprises ne se transforment en tuiles pouvant mettre en jeu leur existence. Elles rappellent aussi que l’Europe est en avance en ce domaine et qu’il est dommage qu’en raison d’un manque d’intérêt, les enseignants ne sensibilisent pas leurs étudiants aux outils à leur disposition lorsqu’ils arriveront « aux affaires ».