Le sujet du futur des dettes souveraines européennes a refait surface au cours de la semaine écoulée. D’une part, le FMI a éprouvé la nécessité d’affirmer que la Grèce aurait la capacité de faire face à ses engagements, d’autre part Jean-Claude Trichet a pris la défense du système bancaire européen en s’interrogeant puis en marquant son désaccord avec l’idée d’impliquer le système bancaire dans tout programme de réduction de valeurs d’emprunts d’Etat et/ou de rééchelonnement des paiements d’intérêt et de principal, position cohérente avec les hypothèses retenues lors des stress tests réalisés au cours de l’été dernier (pas plus de 5 % de décote pour la dette d’un pays de la zone euro). Pourquoi cette effervescence alors que l’on pensait avoir « acheté » quelques années avec la mise en place du Fonds de stabilité européen (FSE) ? Madame Merkel a été ferme au cours du dernier Conseil européen ; mais bluffe-t-elle en vue, par exemple, de mettre en balance l’implication du secteur privé dans un plan de sauvetage souverain (*)? Bluffe-t-elle alors qu’elle a elle-même exigé lors de la réalisation des stress tests des banques européennes qu’aucune dette souveraine européenne ne soit décotée de plus de 5 % ? Bluffe-t-elle à l’intention de son parti, de ses opposants ?

En Mai 2010, le plan de secours européen aux pays en difficulté, et particulièrement la Grèce de la zone euro avait deux objectifs clairs :
– Permettre aux pays de se refinancer,
– Sauver le marché interbancaire européen et grec en particulier.

A l’automne, la situation a changé ; le marché interbancaire a retrouvé -moyennant l’intervention régulière de la BCE- une liquidité proche de celle qui prévalait avant la crise et la Grèce a pu surmonter le mur de la dette de mai 2010. Nous nous trouvons donc dans une situation critique, mais courante (au sens de non exceptionnelle). Si toutefois, le terme « situation courante » convient quand un pays de la zone Euro, l’Irlande, va devoir creuser son déficit de 23 % (!) de son PIB pour sauver de la faillite l’Anglo-Irish Bank.

Madame Merkel, qui considère que l’article 122 du Traité d’Union européenne (TUE) ne s’applique plus à la situation actuelle, peut faire craindre à l’objection d’anti-constitutionnalité de la cour constitutionnelle allemande sise à Karlsruhe qui se veut menaçante.

 

Au cas d’espèce, dès lors qu’on ne peut plus arguer de l’exception pour soutenir deux ou trois pays européens, on sort du cadre du Traité. Toute nouvelle décision non ratifiée serait non pas anticonstitutionnelle (au sens de contraire à), mais tout simplement juridiquement invalide! Ce qui paraît être le cas. Si, comme on peut le lire, on ne veut pas toucher a l’article 125, il faudra passer par une directive et donc par la commission, le parlement européen et un vote de la loi de transposition par les parlements nationaux car toute directive ou décision européenne doit être transcrite en droit national et donc faire l’objet d’une loi de transposition votée par le Parlement… comme dans tous les pays européens ! Faute de quoi, la directive n’est pas applicable.

A noter que les lois de transposition peuvent différer d’un pays à l’autre, sans changer l’esprit de la décision européenne. Cette « souplesse » peut aider à faire passer la pilule dans les pays peu européens ou « riches »… Possible, mais risqué néanmoins ! Le propre du bluff crédible.

En sus de cette question constitutionnelle du soutien conjoncturel ou structurel d’un pays de la zone Euro peut se poser celle de l’achat de dette d’Etat (60 Mds d’euros de dette grecque) par la BCE au regard de l’article 123-1 du traité de Lisbonne (**) face à laquelle n’existe aucune structure susceptible de remettre en cause les décisions de la BCE ; ceci en raison de la volonté farouche des allemands d’ancrer dans les statuts de la Banque, le principe d’indépendance absolue vis-à-vis de toutes pressions politiques !

On connaît les débats actuels sur la nécessité d’apporter un contrepoids économique à la BCE.
Il semble exister au plan juridique avec la Cour de justice européenne, mais la procédure est longue. A cet égard, les arguments des partisans de l’amodiation du TUE n’est pas sans fondement. Néanmoins, à l’épreuve des faits, il a fallu privilégier l’urgence (répondre à l’esprit du traité) sur la lettre des traités. Ce que fait la BCE dont le mandat statutaire est de rechercher une stabilité des prix et la défense de la valeur de l’Euro. Les moyens à la disposition de la BCE ne sont pas clairement mentionnés dans le TUE or la Banque doit réagir dans un laps de temps court, incompatible avec celui d’une révision du traité ou la recherche de jurisprudence auprès de la Cour de justice de Luxembourg. On ne peut rien y faire. Personne n’a trouvé de réponse au sein des grandes zones économiques… si ce n’est ajouter l’objectif du plein emploi à ceux existant de la Banque Centrale. (Cf. : FED, BoE, BoJ)… ce qui n’est pas exactement une demande des allemands !

Le nœud gordien actuellement est celui de l’apparente contradiction entre les articles 125, 123 et 122. On peut toutefois se hasarder à présenter deux éléments de réflexion :

– quand les banques grecques ne peuvent plus se refinancer, y a-t-il danger pour la zone euro: la réponse est évidemment oui et la BCE est légitime pour intervenir. A condition de reprendre la liquidité distribué au marché en achetant des emprunts d’état, ce qu’elle fait.

– si la BCE n’avait pas acheté d’emprunt grec en mai, l’euro serait mort. Depuis, la situation s’est normalisé et l’article 122 n’est plus applicable. Dans ce cas, la BCE devrait revendre les emprunts d’Etat acquis, ce qui occasionnerait une tension « exceptionnelle » sur les marchés obligataires de la zone, ce qui permettrait à la BCE de s’abriter derrière l’article 122, etc. « Egg and chicken problem! ».

Que la situation économico-financière ait changé depuis l’adoption du traité de Lisbonne, personne ne le nie. Il faut donc RÉ-INVENTER. Sachant qu’une campagne de ratification d’une modification du TUE n’est pas gagnée d’avance, il faut en passer par d’autres moyens : opérations bilatérales, directives…). Chacun des chefs d’Etat et de gouvernement européen devra faire de la politique –y compris le bluff ?- c’est-à-dire mettre en place « une combinaison de moyens efficaces en vue de fins souhaitables » (***). C’est toute la difficulté de la tâche de Monsieur Van Rompuy.
Nous sommes dans la situation inconfortable qui met les gouvernants et l’opinion publique mal à l’aise: « Une injustice vaut mieux qu’un grand désordre ». Mais quand il en va de l’Europe, cela ne me gène pas.

 

Et que l’on ne vienne pas me reprocher, pour cela, d’être anti-dreyfusards !

 

(*) Les déclarations de Wolfgang Schauble du 2 novembre, qui ne veut pas payer pour les mauvais élèves de l’euro, sont d’autant plus étonnantes que les banques et assureurs allemands sont des gros porteurs d’obligations souveraines et de prêts hypothécaires… et que ces propos s’apparentent à ceux du pompier pyromane si l’on regarde le saut violent des spreads grecs, irlandais, espagnoles et portugais.

(**) « Il est interdit à la Banque centrale européenne (BCE) et aux banques centrales des Etats membres, ci-après dénommées « banques centrales nationales », d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions et autorités publiques; l’acquisition directe, auprès d’eux, par la Banque centrale européenne ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite. »
(***) Jean Cavaillès