Le débat autour du monde d’après crise sanitaire n’oppose pas seulement des scenarios économiques, environnementaux et sociaux mais trouve aussi une traduction très concrète dans les nombreux bras de fer qui émergent autour du versement des dividendes ou des engagements climatiques à demander aux entreprises bénéficiant de l’aide de l’État. Les défenseurs d’un monde d’après plus durable ont publiquement regretté que le nouveau projet de loi de finances se contente d’inciter les entreprises à renforcer leur politique RSE (Responsabilité sociétale des entreprises) et climat, sans les obliger à le faire.

Cette consécration des démarches volontaires des entreprises laisse présager le retour de réflexes dangereux pour l’émergence d’un monde plus résilient. La mobilisation de tous les moyens financiers pour relancer une machine à l’arrêt, sans lui demander d’effort au nom de la préservation de l’emploi, est préoccupante. D’autant plus que celles dont l’activité pose les problèmes environnementaux les plus importants profitent de la crise pour essayer d’obtenir de l’argent public et un allègement de leurs contraintes environnementales. Selon l’ONG environnementale Mighty Earth, c’est particulièrement vrai pour les lobbys américains de l’agro-industrie, de l’automobile, de l’aéronautique et des énergies fossiles et les responsables de la déforestation en Indonésie.

Demander des comptes aux entreprises

Les Assemblées générales des grandes entreprises cotées qui vont se tenir dans les semaines à venir vont mettre au pied du mur leurs actionnaires. Seront-ils capables de sacrifier leurs dividendes sur l’autel de la transformation durable dont 2020 leur offre la possibilité ? C’est ce qu’espère Fiona Reynolds, la directrice des Principes pour l’Investissement Responsable (PRI) : « Il est temps, pour nous, de demander des comptes aux entreprises dont nous sommes actionnaires pour qu’elles soient plus durables à long terme et qu’elles mettent en œuvre ce capitalisme des parties prenantes, prôné par la Business RoundTable ». Cette organisation, qui rassemble les plus grandes entreprises américaines, a appelé l’été dernier à ce que l’entreprise ne se contente plus de servir l’actionnaire mais répartisse mieux la valeur économique créée.

Dans une phase d’assèchement des revenus des entreprises parce que production et consommation sont à l’arrêt sur une bonne partie de la planète, la capacité des actionnaires à renouveler leur vision de l’entreprise sera clef. C’est en leur nom qu’ont été externalisées tout ce qui peut l’être dans des pays à bas coût et que bon nombre d’entreprises recourent massivement à l’optimisation fiscale pour maintenir des niveaux de profitabilité élevée dans des périodes de croissance faible. Jusqu’où les risques sanitaires, environnementaux et sociaux générés par ce modèle toujours en position de force, seront-ils encore acceptés ?

C’est le débat que vont devoir affronter les actionnaires des grands groupes cotés lors des prochaines Assemblées générales. Il va prendre de multiples formes mais pour le groupe pétrolier français Total, il a d’ores et déjà conduit à une grande première : le dépôt d’une résolution climat. Les votes de tous les grands fonds qui en sont actionnaires seront scrutés attentivement, plus particulièrement ceux qui appartiennent à la coalition Climate Action 100 +, une coalition d’actionnaires engagés pour transformer les entreprises le plus polluantes de la planète.

 

Cet article a été publié par Novethic le 20 avril 2020. Il est repris par Vox-Fi avec due autorisation. Cet article a également été publié sur Vox-Fi le 19 mai 2020.