Le mal français : l’absorption des PME innovantes et exportatrices par les grands groupes ?
La performance à l’exportation de la France est très mauvaise par rapport à celle de l’Allemagne ; nous ne pensons pas que cette différence de performance peut s’expliquer par des facteurs macroéconomiques, en particulier par les coûts de production. Nous pensons que joue un rôle important le fait que les PME les plus dynamiques et les plus exportatrices disparaissent prématurément en France en étant absorbées par des grands groupes, et que ces absorptions coupent le dynamisme des PME, par exemple parce que le créateur de l’entreprise la quitte.
Comprendre l’écart de performance à l’exportation entre la France et l’Allemagne
La performance à l’exportation de l’Allemagne est nettement meilleure que celle de la France (graphiques 1 a – b), le poids de l’industrie est nettement plus important en Allemagne (graphiques 2 a – b).
Deux types d’explications ensuite s’opposent :
- Cette meilleure performance de l’Allemagne est due à un avantage en termes de compétitivité – coût ;
- elle est due à un avantage de l’Allemagne non lié aux coûts : effort d’innovation, organisation des entreprises, dynamisme des entrepreneurs…
La thèse de la compétitivité – coût n’est pas convaincante
Les coûts salariaux unitaires ont augmenté plus vite en France qu’en Allemagne depuis 1999 dans l’ensemble de l’économie (graphique 3 a) mais :
- C’est nettement moins le cas dans l’industrie manufacturière (graphique 3 b) ;
- les écarts entre les niveaux de salaires (tableau 1) expliquent difficilement les écarts entre les performances à l’exportation.
Tableau 1 : Salaire horaire dans l’industrie (charges sociales comprises, en euros)
1999 | 2000 | 2001 | 2002 | 2003 | 2004 | 2005 | 2006 | 2007 | 2008 | 2009 | 2010 | |
Allemagne | 25,3 | 26,6 | 27,5 | 28,2 | 28,9 | 29,1 | 29,3 | 30,3 | 30,6 | 31,4 | 30,6 | 30,2 |
France | 23,7 | 24,8 | 25,9 | 26,9 | 27,6 | 28,6 | 29,4 | 30,3 | 31,2 | 33,2 | 33,3 | 33,7 |
Sources : Eurostat, Insee, Natixis
Nous pensons donc qu’il faut rechercher une autre explication.
La thèse de la « disparition » des PME dynamiques en France
Si on cherche une « explication microéconomique » à la performance à l’exportation, on peut partir de deux observations :
- Pour des dépenses de R & D comparables entre la France et l’Allemagne (tableau 2 a), le nombre de brevets déposés en France est plus faible nettement que celui déposé en Allemagne (tableau 2 b) : c’est le passage de la recherche à la conception de nouveaux produits qui semble déficiente en France ;
- le nombre d’entreprises exportatrices est beaucoup plus élevé en Allemagne qu’en France, et l’écart augmente (tableau 3 a), ce qui correspond aussi à une taille moyenne plus faible des entreprises françaises (tableau 3 b).
Tableau 2 a : dépenses de R&D totales (en % du PIB)
1999 | 2000 | 2001 | 2002 | 2003 | 2004 | 2005 | 2006 | 2007 | 2008 | 2009 | |
Allemagne | 2,40 | 2,45 | 2,46 | 2,49 | 2,52 | 2,49 | 2,49 | 2,53 | 2,53 | 2,68 | 2,82 |
France | 2,16 | 2,15 | 2,20 | 2,23 | 2,17 | 2,15 | 2,10 | 2,10 | 2,04 | 2,02 | 2,21 |
Tableau 2 b : nombre de brevets triadiques (par millions d’habitants)
1999 | 2000 | 2001 | 2002 | 2003 | 2004 | 2005 | 2006 | 2007 | 2008 | |
Allemagne | 77,82 | 75,87 | 75,63 | 74,22 | 69,42 | 69 | 70,51 | 73,67 | 74,85 | 73,18 |
France | 38,04 | 37,50 | 36,93 | 38,26 | 36,40 | 39,11 | 38,60 | 39,31 | 40,52 | 39,66 |
Source : principaux indicateurs de la science et de la technologie 2010
Tableau 3 a : Nombre d’entreprises exportatrices
1999 | 2000 | 2001 | 2002 | 2003 | 2004 | 2005 | 2006 | 2007 | 2008 | 2009 | |
France | 107 500 | 105 000 | 101 200 | 100 000 | 99 000 | 98 000 | 95 210 | 91 900 | 107 500 | 105 000 | 101 200 |
Allemagne | 219 244 | 226 140 | 238 892 | 247 059 | 241 446 |
Tableau 3 b : nombre d’entreprises par taille (milliers)
0 à 9 salariés | 10 à 49 salariés | 50 à 249 salariés | > 250 salariés | |
Allemagne | 2 881 90,9 % |
230 7,3 % |
47 1,5 % |
10 0,3 % |
France | 2802 93,3 % |
168 5,6 % |
28 0,9 % |
6 0, 2 % |
Sources : Nationales, Natixis
L’explication que nous proposons de la mauvaise performance à l’exportation de la France est la suivante : les PME en forte croissance, dynamiques et exportatrices disparaissent prématurément en France, car elles sont absorbées par des grands groupes. Cette absorption par un grand groupe peut faire disparaître le dynamisme de la PME absorbée, par exemple parce qu’elle perd son agilité, parce que l’équipe dirigeante est changée.
L’absorption des PME par les grands groupes
Le tableau 4 montre la proportion de PME françaises absorbées par un grand groupe en moyenne chaque année.
Tableau 4 : Proportion de PME françaises absorbées par un grand groupe
(en moyenne chaque année)
Taille de la PME (emplois) | Proportion absorbée chaque année par un grand groupe (%) |
20 à 49 | 8 |
50 à 99 | 12 |
100 à 249 | 14 |
250 à 499 | 16,5 |
Source : Insee
Cela signifie que, en moyenne après 6 années, une PME est systématiquement absorbée par un grand groupe.
Les PME absorbées par un grand groupe, par rapport aux autres PME :
- étaient en croissance plus rapide (tableau 5 a) ;
- avaient un niveau technologique élevé ;
- étaient plus exportatrices que les autres PME.
Tableau 5 a : les sociétés entrées dans un groupe avaient une croissance supérieure aux autres avant l’entrée
Tranche d’effectifs de la société | Société restée indépendante (en %) | Société entrée dans un groupe (en %) |
20-49 | 5 | 6 |
50-99 | 5 | 6 |
100-249 | 6 | 7 |
250-499 | 6 | 8 |
Source : Insee
Cela montre bien que le sort, en France, des PME dynamiques et exportatrices est d’être absorbée par un grand groupe.
Synthèse : pourquoi ce destin des PME dynamiques en France ?
Nous pensons que le faible niveau des exportations en France, et de manière liée le faible nombre d’entreprises exportatrices s’expliquent, au moins en partie, par le fait que les PME dynamiques et exportatrices sont en grande majorité absorbées par de grands groupes, et que cette absorption, pour diverses raisons, fait disparaître le caractère dynamique et exportateur.
Ce « destin fatal » des PME dynamiques et exportatrices en France peut s’expliquer :
- par la volonté des créateurs – dirigeants de PME dynamiques de « monétiser » leur entreprise prématurément en la vendant ;
- par les difficultés diverses (relation avec l’administration, les banques, difficultés d’embauche, relations de sous-traitance) rencontrées par les PME quand elles deviennent grandes ;
- par la volonté des grands groupes d’acquérir les technologies développées par les PME innovantes.
Vos réactions
Fondateur-Président du seul vrai cabinet d’analystes européen pouvant concurrencer les McK, Gartner ou Forrester, l’autre explication est le syndrome « ancien régime » de l’économie française. Je reprends volontiers à mon compte le rédactionnel du sénateur Retaillau dans son rapport de février 2010, p.3:
« Les grandes entreprises veillent à ne pas laisser prospérer des entreprises suffisamment fortes pour leur faire concurrence ».
Vous avez dit 1789?
Bernard DUBS
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La question est : pourquoi n’a t’on pas cherché à contrer leur absorption
– questions économiques non prioritaires pour la classe politique à partir des années 80
– management archaïque « je cite les mots d’un dirigeant américain. » pas assez de délégation. Comité de direction doit être plus influent
– gestion des compétences : les chefs du personnel plus orientés vers les relations avec les syndicats que vers la gestion des compétences et le développement du personnel
– manque de réflexion stratégique de conquête et de mobilisation des moyens au service de cette conquête cf la restructuring provision des sociétés US et leur approche systématique dans le repérage des sociétés cibles
– marché malthusien de l’emploi bloqué figé. La mobilité de salariés épanouis et confiants est un élément clef de la créativité.
– Culture pragmatique pour les US et nord de l’Europe vs idéologique en France
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Merci pour cet article qui fournit des chiffres utiles et synthétiques.
Il conviendrait d’obtenir les nombres de cession sous forme de LBO dans la même période. Je ne parle pas des reprises par les salariés (les anciens « RES ») qui permettent aux entreprises de poursuivre leur développement (exemple SAGEM), mais de cessions majoritaires à des investisseurs financiers qui vendent ensuite l’entreprise à des grands groupes : en échange d’un « gros chèque » qu’il perçoit, le chef d’entreprise endette l’affaire, efface une grande partie des fonds propres et de la trésorerie, condamne l’entreprise à allouer ses ressources au remboursement d’emprunts qui n’ont rien à voir avec les besoins de développement. De plus, le chef d’entreprise perd souvent une partie élevée du « gros chèque » en placements hasardeux.
Il existe d’autres moyens d’inciter à la transmission des entreprises. Le financement par la Bourse, à condition d’établir des prévisions prudentes, en est un. L’encouragement à certaines pratiques de gouvernance, le plafonnement voire l’interdiction de déductibilité des intérêts d’emprunts de LBO, pourraient constituer des axes d’action.
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