Les autorités semblent désormais décidées à réagir – en tout cas en Chine. Après un onzième Plan quinquennal qui dégageait déjà d’importants moyens pour l’environnement, le 12e Plan (2011-2015) qui vient d’être adopté par le Congrès du parti a prévu de faire baisser l’intensité énergétique de la croissance de 20 %. En outre, la Chine a accepté de s’engager « volontairement » (donc hors cadre du Protocole de KYOTO) sur une baisse encore plus forte – 40 à 45 % – de sa consommation d’énergie par unité produite à l’horizon 2020. Cela ne suffira malheureusement pas à réduire la consommation globale d’énergie du pays, puisque sa production aura au moins doublé dans l’intervalle ; mais c’est un pas dans le bon sens. D’autres grands pays émergents s’engagent désormais dans cette voie de la sobriété énergétique, avec malheureusement trop de lenteur, par exemple en Inde, où la dépendance charbonnière est tout aussi forte qu’en Chine.
Au-delà de la sobriété recherchée, de vrais progrès ne seront toutefois possibles que si l’ensemble des grands pays émergents changent radicalement leur « bouquet énergétique » en remplaçant charbon et hydrocarbures par d’autres sources. Aussi ont-ils tous de grands programmes de barrages hydroélectriques – comme ceux des Trois-Gorges en Chine ou d’Itaipu au Brésil. Cependant, les sites aménageables sont limités, et les populations concernées souvent hostiles. La biomasse, principale énergie renouvelable actuellement utilisée, trouve vite ses limites dans les capacités agricoles ; de plus, elle produit des rejets polluants. L’apport le plus important est donc à rechercher du côté des énergies éolienne, solaire et nucléaire – ce qui nous ramène au problème du coût pour les premières citées, et de la sécurité pour la filière nucléaire.
Commençons par la question des énergies nouvelles et renouvelables. Comme on sait, les éoliennes et les installations solaires sont une bonne solution du point de vue du développement durable, car elles causent peu d’émissions de gaz à effet de serre – encore que ce soit un peu moins vrai si on inclut tout le processus de fabrication). Elles ont fait une percée remarquable chez certains de nos voisins (Allemagne, Danemark, Espagne et récemment Royaume–Uni), mais aussi aux Etats-Unis, au Japon, et dans les grands pays émergents ; en France, après des débuts difficiles, la filière éolienne se développe et les projets solaires ont même atteint un tel rythme que le Gouvernement a dû – fâcheux paradoxe – décréter un moratoire sur le dépôt de nouveaux projets et réduire le prix de rachat de l’électricité d’origine solaire.
Pourquoi cette décision, qui paraît contradictoire avec l’objectif d’atteindre 20 % d’énergies renouvelables en 2020, retenue par le Grenelle de l’environnement et confirmé au niveau européen ? Tout simplement parce que ces énergies alternatives coûtent fort cher. Il faut les subventionner par des aides fiscales, et surtout en garantissant le rachat de l’électricité produite à des tarifs stables et élevés. C’est l’objet de la CSPE, « contribution au service public de l’électricité », dont le tarif vient d’être relevé, au grand mécontentement des associations de consommateurs.
C’est là qu’intervient la bonne nouvelle : les nouvelles technologies, qui permettent la construction d’éoliennes plus efficaces et de plus grande taille, ont permis une amélioration plus rapide qu’on ne l’attendait : les plus performantes fournissent aujourd’hui du courant à un coût de 8 centimes le kilowattheure, chiffre encore supérieur d’un bon tiers à celui des centrales à charbon mais qui est presque en ligne avec celui de l’énergie venant des hydrocarbures, du moins à leur nouveau prix. L’énergie éolienne est donc proche aujourd’hui d’être compétitive sans aides publiques, ce qui est une étape décisive pour son développement futur. Il n’en est en revanche pas de même pour les « fermes éoliennes » construites en mer, qui évitent les protestations des riverains contre le bruit et l’atteinte aux paysages, mais dont le courant a un prix de revient deux fois plus élevé que l’éolien terrestre. Quant au solaire, il reste, malgré ses progrès récents, cinq à six fois plus cher que les sources traditionnelles, ce qui en fait malheureusement encore une énergie de luxe, sauf pour des usages très décentralisés.
Cela étant, même si les progrès techniques se poursuivent et les rendent plus compétitives, les énergies nouvelles poseront toujours un problème majeur : ce sont des énergies intermittentes. Une éolienne fournit du courant, en France, 2 200 heures par an en moyenne, soit un quart seulement du temps. Que faire pendant les trois autres quarts, sachant que l’électricité se consomme au moment même où elle est produite et ne peut guère se stocker ? De même, comment obtenir du courant solaire la nuit ou par mauvais temps ?

 

Aussi est-il impossible de prétendre faire reposer l’essentiel de la fourniture d’énergie sur ces sources, comme feignent de le croire certains écologistes. Il faut nécessairement faire figurer dans le « policy mix » énergétique :

  • Des sources fournissant une énergie « de pointe » pour couvrir les « pics » de consommation (c’est le rôle, que l’on souhaite à terme résiduel, mais qui reste inévitable à cet égard, des combustibles fossiles, en particulier du gaz) ;
  • et des sources fournissant une énergie « de base » en continu et à bas prix (c’est le rôle du nucléaire).

 

Nous voici revenus, après ce long mais nécessaire détour, à la question d’actualité : l’avenir de la filière nucléaire après l’accident spectaculaire de Fukushima.

 

Il est évident que ce drame, vécu en direct par toute la planète, aura des conséquences profondes. S’ajoutant aux chocs précédents de Three Miles Island (USA, 1979) et de Tchernobyl (Ukraine, 1986), il rappelle à chacun que l’énergie nucléaire comporte des risques qui ne peuvent être totalement neutralisés, malgré toutes les précautions prises. Il est vrai qu’une catastrophe naturelle de cette ampleur à proximité d’une centrale nucléaire est un phénomène rare – et plus qu’improbable en France –, mais le fait est qu’elle s’est produite et que les sécurités prévues, en principe « redondantes », ont défailli toutes à la fois. Vrai aussi qu’il s’agit là de réacteurs « de deuxième génération », et même de début de deuxième génération, beaucoup moins sûrs que nos EPR, réacteurs « de troisième génération » en construction à Flamanville et en Finlande ; mais nos EPR sont chers –c’est le prix de la sécurité -,ce qui avait conduit des pays comme Abou Dhabi à leur préférer des réacteurs de deuxième génération, moins chers et moins sûrs….
Une fois l’émotion immédiate retombée, quelles sont les conséquences durables à attendre de cet accident ?

 

  • Au mieux, les programmes en cours d’électricité nucléaire vont être ralentis et renchéris par le surcroît de précautions exigé par les opinions publiques. Déjà, le prix de revient du kilowattheure produit par un EPR s’établit entre cinq et six centimes, contre moins de quatre pour les centrales de génération précédente. Ceci rendra cette source moins compétitive ; toutefois, la hausse des prix des hydrocarbures garantit, si elle se maintient, que l’électricité d’origine nucléaire restera rentable.
  • Au pire, les programmes qui redémarraient dans de nombreux pays, des Etats-Unis à l’Afrique du Sud, de l’Italie à l’Inde, seront stoppés. C’est déjà le cas en Allemagne, où sept réacteurs sur 17 vont être arrêtés ; on peut douter, après la victoire des Verts aux élections du Bade-Wurtemberg le 27 mars dernier, qu’ils redémarrent jamais… Par ailleurs, on pressent quel pourra être, dans le climat actuel, le résultat du référendum annoncé pour juin prochain en Italie sur ce sujet.

 

Or, je dois le répéter, le nucléaire est une partie indispensable d’un « bouquet énergétique » favorable au développement durable. Maintenir simplement sa place actuelle (16 % de l’énergie électrique de la planète, 6 % de l’énergie totale) nécessitera la construction de plusieurs centaines de réacteurs d’ici vingt ans. Dans cette hypothèse, qui est le scénario principal retenu par l’AIE (Agence Internationale de l’Energie), les combustibles fossiles continueront dans vingt ans à représenter, comme aujourd’hui, les quatre cinquièmes d’une production électrique qui aura augmenté de moitié. Aussi ce scénario prévoit-il que la consommation de pétrole passera des 85 millions de barils par jour actuels à 110 millions en 2035 – soit l’équivalent de cinq milliards de tonnes par an contre quatre milliards actuellement !
Pour éviter cette folie, il faudrait multiplier au moins par dix la place des énergies nouvelles, nous dit l’AIE dans ses scénarios alternatifs, plus favorables au développement durable. Mais cela ne suffirait pas. Il faudrait en même temps construire d’ici là, plus de mille réacteurs nucléaires civils. La Chine, par exemple, prévoyait, avant Fukushima, la construction pour 2020 d’une cinquantaine de nouveaux réacteurs, fournissant une puissance de 70 gigawatts – soit à peu près les trois quarts de la puissance électrique totale installée en France aujourd’hui, mais un dixième seulement des énormes besoins de l’Empire du Milieu. On peut craindre aujourd’hui que ce programme prometteur, et ses équivalents en Inde, au Brésil, en Afrique du Sud et ailleurs, ne soient fortement retardés ou arrêtés.
On le voit, l’accident nucléaire de Fukushima aura des répercussions profondes et durables sur la politique énergétique mondiale. Souhaitons qu’il conduise seulement à un resserrement utile des dispositifs de sécurité et non à un blocage à grande échelle d’une ressource énergétique indispensable à moyen terme à la réussite d’une stratégie de sortie du « tout pétrole ». Car il reste aussi important aujourd’hui qu’hier de combattre notre dépendance à l’égard des combustibles fossiles – une dépendance absurde, nuisible écologiquement et intenable à terme.

 

Voir sur le même sujet : Le nouveau paysage énergétique après Fukushima (1/2)

Ce post est une reproduction d’un article publié sur Canal Academie le 11 avril 2011.