Dans une ferme du Poitou
(Ce pourrait être du Pérou)
Dans des lieux qui pourtant paraissaient bucoliques
Survint fort brusquement la Crise Economique.
Lecteur, il me faut vous conter
Comment l’affaire est arrivée.
Le fermier gouvernait, fier de sa basse-cour,
Il levait les impôts, il faisait des discours,
Il veillait au confort de ses gallinacées
De sorte que les poules étaient bien gardées.
Les coqs chantaient, levant la crête
Et ils honoraient les poulettes.
Bref : ils remplissaient leur office
Sans que ce fût un sacrifice.
Mais ils vinrent à s’ennuyer.
Certain Chanteclerc le premier.
Il réunit ses pairs dans le grand poulailler,
Se fit tribun, prit de grands airs pour leur parler :
Chers amis, leur dit-il, notre séjour sur terre
Est trop court ! S’il faut bouloter des vers de terre
Sauter le gynécée, finir en sauce au vin
Non merci bien ! Mieux eût valu être un bovin !
Pour égayer un peu nos vies trop routinières
Je crois avoir trouvé une bonne manière !
Sur ce, il exposa à ses pairs réunis
Comment ils pourraient jouir en faisant des profits.
Aussitôt la banque est fondée
Et la clientèle est trouvée
Chaque poule dépose un œuf
On lui promet d’en faire un bœuf.
On se réjouit et le fermier
Se félicite le premier.
Les œufs font des petits poulets
Qui font des œufs en chapelets.
Mais Chanteclerc veut davantage :
Il réunit l’Aréopage :
Messieurs nous pouvons quadrupler nos profits !
Pour cela nous devons inventer des produits,
Inonder le marché : prêter, prêter, prêter
Acheter, emprunter, calculer, spéculer…
Le plus vieil étalon de cette basse cour
Ergota, objectant à ce joli discours
Que certaines pondeuses voulant emprunter
Pourraient être empêchées parfois de rembourser.
Chanteclerc toisa son aîné :
Bien sûr il y avait pensé !
Mais si l’intérêt était bas
De problème il n’y aurait pas !
Il eut des accents émouvants
Pour convaincre les hésitants :
Imaginez une pauvrette
Qui pond et couve à la sauvette
Elle rêve d’un nid de paille
Pour y élever sa marmaille !
Si nous lui proposons un taux d’intérêt bas,
Comme tous ses voisins elle y accédera !
Qu’y gagnerons-nous donc alors ?
Quelques clopinettes d’abord,
Mais au bout de quelques années
Les données seront chamboulées :
Le taux d’intérêt grimpera
Comme vous sur vos dulcinées,
Au coup par coup cela fera
Fructifier nos avancées…
Et nous revendrons les crédits
A des gogos et sans dédit !
Ainsi fut fait.
La naïve poulette pauvre et prolétaire
Emprunta et ainsi devint propriétaire.
Oui mais le temps passant, sa pondaison chuta
Quand le coût de l’argent lors même progressa.
Ruinée, elle trouva un pauvre promontoire
Pour y cacher ses œufs et puis son désespoir.
Les œufs étaient clairets, la banque les saisit
On les vendit à perte et adieu le profit !
Le rusé Chanteclerc alors s’égosilla,
Fit appel au fermier pour qu’il le dépannât.
Le fermier déplorant la pénurie des œufs
En fournit, qu’il quêta chez des voisins bouseux.
Au bord de la faillite, il prêcha la rigueur
A tous les emplumés, en force ou en douceur.
Il fit espérer la relance
Il mit son poids dans la balance
Pour moraliser la finance.
Lui, il ferait tourner la chance !
Chanteclerc se tint coi tant que dura la crise
Sans renoncer pourtant à sa belle entreprise.
Des œufs glanés dans les poulaillers alentours
Il en usa comme des siens, comme toujours :
Acheter, emprunter, calculer, spéculer…
Pourquoi laisser les œufs dans le même panier ?
Le fermier est content, caquète,
Promet de rembourser la dette
Un jour.
Et si une poule s’inquiète
De rester encore à la diète
Pondez ! lui répond-il, créez de la richesse
Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse !
L’Aréopage des banquiers
Laisse caqueter le fermier.

D’aucuns diront que la leçon n’est pas tirée,
Accableront à tort la gent gallinacée.

Lecteur abstiens-toi de juger
Ou bien regarde sous ton nez :
Ce qui ruina le poulailler
Et affaiblit tant le fermier
Risque fort de nous arriver !