La gouvernance des entreprises a donné lieu, au cours des trente dernières années, à la création de nombreuses institutions (comme l’Institut Français des Administrateurs), au lancement de nouvelles revues (comme la Revue Française de Gouvernance d’Entreprise) ; à la publication de plus de 150 rapports officiels (comme en France, les rapports Viénot 1 et 2, Bouton, Montaigne…), ainsi qu’à plusieurs centaines d’ouvrages et milliers d’articles scientifiques et professionnels. La notion de gouvernance d’entreprise a été à ce point élargie qu’elle est souvent qualifiée de diluée, équivoque ou confuse. On la confond notamment avec les notions de management ou de pilotage de l’entreprise. Un bref état de l’art sur cette notion s’impose.

 

On distingue, pour simplifier, trois approches, que les économistes désignent respectivement par contractuelle (ou conventionnelle), cognitive (ou positive) et organisationnelle.

Selon la première approche, la gouvernance d’entreprise recouvre « l’ensemble des institutions, des règles et des pratiques qui légitiment le pouvoir des dirigeants » (Charreaux, 1997). La définition ne couvrait à l’origine que la relation entre les actionnaires et les dirigeants et supposait que les systèmes d’incitation et de contrôle de ces derniers dépendaient essentiellement de la structure de financement de l’entreprise, et notamment de la composition de son actionnariat ou de son conseil d’administration. Cette approche a été étendue, au cours des années 1990 à l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise (Pluchart, 2010). Par une « gouvernance responsable », les administrateurs et les dirigeants de l’entreprise doivent s’efforcer d’intégrer une création de valeur financière immédiate pour les actionnaires (ou shareholders) et une création de valeur globale et durable pour les parties prenantes (ou stakeholders) de l’entreprise. Leurs responsabilités est étendue à la fois dans le temps (à long terme) et dans l’espace socio-économique (les parties prenantes). Cette exigence remet partiellement en cause la finalité originelle de l’entreprise – et donc, la mission conventionnelle de ses dirigeants, orientées vers la sécurisation du capital de l’investisseur et la recherche de profit à court terme. Yoshimori (1995) oppose ainsi le concept « d’entreprise pluraliste » (ou de «firme plurielle ») ouverte sur tous ses partenaires, à celui « d’entreprise moniste » centrée sur ses seuls actionnaires. Il distingue deux référentiels, respectivement financier (l’entreprise est définie comme un « nœud de contrats ») et « durable » (l’entreprise est représentée comme une « communauté de pratiques »).

Cette vision étendue de l’entreprise engendre de nouveaux enjeux pour ses dirigeants, et notamment pour ses directeurs financiers. Ces derniers ont intérêt à accroître la « valeur partenariale » créée par leur entreprise, notamment pour consolider leur propre valeur managériale sur le marché du travail. Ils doivent aussi contribuer au partage équitable de cette valeur entre toutes les parties prenantes. Cet exercice est d’autant plus difficile que la répartition influe sur le processus en raison des conflits inévitables entre des partenaires qui supportent les risques résiduels associés à leurs apports spécifiques de ressources. Les dirigeants « enracinés » dans l’entreprise exercent un rôle central dans cette répartition, car les relations entre l’entreprise et ses parties prenantes ne sont pas simplement contractuelles, mais se construisent dans la durée et dans l’espace. Le système de gouvernance doit ainsi pouvoir à la fois créer de la valeur partenariale et réduire les pertes de valeur dues aux conflits entre les parties prenantes.

La seconde approche de la gouvernance – dite « cognitive » ou « positive » – vise à identifier et à développer les compétences et les connaissances exigées des administrateurs et des dirigeants, afin de stimuler et d’orienter le processus créatif de l’entreprise. Argyris et Schön (1978), fondateurs de la théorie de l’apprentissage organisationnel, représentent l’entreprise comme une organisation « cognitive », recouvrant un « ensemble ouvert et subjectif d’interprétations – et donc, de décisions – contingentes aux modèles cognitifs des acteurs d’une organisation ». La gouvernance est alors un système de contrôle des schémas d’information et de décision que partagent les différents membres de l’entreprise. Le système de gouvernance doit s’assurer que l’entreprise arrive bien à combiner des ressources sur l’objectif de création de valeur durable. Cet alignement est menacé par les « conflits cognitifs », qui peuvent intervenir entre les administrateurs et/ou les dirigeants lors de la sélection des opportunités d’investissement, notamment pour des raisons d’équité et d’éthique, lorsque, par exemple, la réalisation de profits peut entraîner des risques écologiques et sociaux.

L’approche cognitive de la gouvernance a des implications sur l’organisation de l’entreprise. Les chercheurs en management se sont intéressés au « capital organisationnel » représenté par le conseil d’administration et ses comités associés. L’idée est de mesurer la valeur ajoutée apportée par ces instances pour une bonne allocation des ressources, par exemple sous forme de conseils, d’expertise, d’informations sensibles, de relations utiles… Le conseil d’administration ou le comité stratégique doit être composé des administrateurs et des dirigeants les plus aptes à favoriser l’apprentissage organisationnel. Leurs connaissances peuvent être d’autant mieux exploitées que les administrateurs sont indépendants, experts dans un domaine et en nombre limité. Le capital organisationnel incorporé dans le système de gouvernance doit favoriser la coordination des ressources de la firme, en dégageant des effets de synergie. Les conseils d’administration et les comités exécutifs doivent ainsi pouvoir exercer un rôle déterminant dans la mise en œuvre des projets stratégiques de l’entreprise, en montrant que la diversité des origines et des identités des cadres dirigeants stimule l’apprentissage organisationnel.

La mobilisation de ces trois approches de la gouvernance exige donc une meilleure traçabilité de la valeur à répartir entre les parties prenantes, et donc, une plus grande implication des DAF dans le système de gouvernance de l’entreprise.

 

Références :

Argyris C., Schon D. (1978), Organizational Learning: a Theory of Action Perspective”, Addison Westley.
Charreaux G. (1997) : Le gouvernement des entreprises, Paris, Economica.
Pluchart J.J. (coord), 2010, “Le reporting sociétal”, Cahier technique DFCG.
Yoshimori M. (1995), “Whose Company is It? The Concept of the Corporation in Japan and the West”, Long Range Planning, vol .18, 4, pp.33-44.

 

Cet article a été publié sur Vox-Fi le 14 janvier 2015.