L’industrie financière est-elle devenue moins efficace ? Cette question a fait l’objet d’un billet paru sur le site Vox-Eu du 2 décembre 2011 et que nous reprenons en résumé. L’auteur soutient qu’en dépit de tous ses ordinateurs et ses dérivés de crédit, le système financier n’est pas meilleur pour transférer les fonds des épargnants vers les emprunteurs qu’il l’était en 1910.

 

 

La mesure de l’intermédiation financière

 

Le rôle de l’industrie financière est de produire, négocier et finaliser des contrats financiers qui servent à rassembler des fonds, partager les risques, transférer des ressources, produire de l’information et fournir des incitations. Les intermédiaires financiers sont rémunérés pour ces services.

La somme de tous les profits et salaires payés aux intermédiaires financiers représente le coût de cette intermédiation financière. Le graphique 1 mesure ce coût de 1870 à 2010, en pourcentage du PIB. Il montre de grandes variations historiques. Le coût croît de 2% à 6% entre 1870 et 1930. Il rétrécit à moins de 4% en 1950, remonte lentement à 5% en 1980, puis s’accroît rapidement à presque 9% en 2010.

 

Graphique 1. Part de l’industrie financière dans le PIB

 

 

 

 

 

 

 

 

(Cliquez sur les graphiques pour les voir en plus grand)

Quelle est à présent la production du secteur financier ? Dans Philippon (2011), je montre qu’on peut retenir comme référence la moyenne pondérée des actifs financiers créés par le secteur financier pour l’économie réelle. Par exemple, pour le marché de la dette, il faut regarder les obligations émises par les ménages, l’Etat et les organisations à but non lucratifs. Pour les entreprises, on regarde les émissions d’actions et d’obligations ; il faut aussi prendre en compte le service de liquidité rendu par les dépôts et les OPCVM. Quand on met tout ensemble, on obtient une série temporelle de la production du secteur financier (voir Philippon 2011 pour le  traitement des dérivés).

 

 

L’efficacité décroissante de l’intermédiation aux  Etats-Unis.

 

On peut alors estimer le coût de l’intermédiation comme la part de la valeur ajoutée du secteur financier rapportée à la production. Le coût de l’intermédiation aux Etats-Unis varie entre 1,3% et 2,3% sur les 130 années. Cependant ce coût a connu une tendance haussière depuis 1970. C’est contre-intuitif. En tout état de cause, les développements technologiques des 40 dernières années – en informatique notamment – devraient avoir accru plus que proportionnellement l’efficacité de l’industrie financière. Comment est-il possible que la finance d’aujourd’hui ne soit pas significativement plus efficace qu’à l’époque de John Pierpont Morgan ?

 

 

Les technologies de l’information : mais  où  sont donc Carrefour et Leclerc ?

 

Une force à l’œuvre dans l’intermédiation financière est évidemment l’informatique. J’entends souvent l’argument que les progrès informatiques expliquent la part croissante de la finance. Mais cet argument est incomplet ou trompeur. Une raison qui le rend incomplet est qu’il ne peut pas expliquer l’évolution de la part dans le PIB avant 1970. Ce  qui le rend trompeur est qu’il n’est pas clair du tout que l’informatique doive accroître la part de la finance dans l’économie. Par exemple, l’informatique réduit sans ambiguïté le coût de distribution dans la finance pour les particuliers. Le coût d’acheter et de détenir des actifs financiers devrait lui-aussi s’être réduit. La comparaison pertinente est avec le commerce de détail et le commerce de gros, en raison de l’analogie entre la finance et la distribution. Le graphique 3 qui suit montre la part de la valeur ajoutée dans le PIB de ces deux secteurs (en bleu) et l’investissement informatique (en rouge). Le graphique 4 fait  de même avec le secteur financier.

 

Graphique 3. Investissement en informatique et taille du secteur dans la distribution

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Graphique 4. Investissement en informatique et taille du secteur dans la finance

 

 

 

 

 

 

 

 

Le contraste est frappant. Sur base de ce qu’on observe dans le commerce de détail et de gros, l’informatique aurait dû faire diminuer la finance, et non le contraire.

 

Que s’est-il passé ? Pourquoi a-t-on une industrie financière plantureuse aujourd’hui et non les agiles et efficaces Carrefour et Leclerc ? La finance a bénéficié à l’évidence de la révolution informatique et ceci a certainement réduit le coût de la finance de détail. Pourtant, le coût a augmenté. Pourquoi le secteur non-financier transfère-t-il autant de revenus vers le secteur financier ? Une réponse simple est que les progrès techniques dans la finance ont surtout servi à développer les activités de marchés secondaires, c’est-à-dire le trading. Le graphique 5 l’illustre pour le trading sur actions.

 

Graphique 5 : Volume de transactions sur actions rapporté au PIB

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il montre que l’industrie financière de 1900 était autant capable que celle de 2000 de produire des obligations et des actions, et elle le faisait certainement de façon moins coûteuse. Mais les volumes récents des métiers de trading sont au moins trois fois  plus élevés qu’à n’importe quelle période de l’histoire. Les coûts de trading ont décru, comme le montre Hasbrouck (2009), mais le coût de gestion  des fonds d’investissement sont élevés. French (2008) estime que les investisseurs dépensent 0,67% de la valeur des actifs qu’ils laissent en gestion pour tenter (en vain, par définition) de battre le marché.

 

Je conclus en disant que les  deux plus  importantes questions en finance aujourd’hui sont :

  1. Pourquoi les gens (gérants de fonds, particuliers, etc.) font-ils tant de transaction ?
  2. L’accroissement des transactions a-t-il conduit à des prix mieux déterminés ou à un meilleur transfert de risque ?

Je voudrais pouvoir répondre que la réponse à la question 2- est oui, mais j’attends toujours les preuves. Si la réponse devait être non, alors il faudrait conclure que l’industrie financière accapare une part du PIB 2 points trop élevée que ce qui serait nécessaire. Ceci représente une mauvaise allocation de ressources d’environ 280 Md$ pour les seuls Etats-Unis.

 

 

Références

French, KR (2008), “Presidential Address: The Cost of Active Investing”, The Journal of Finance, 63(4):1537-1573.

Hasbrouck, J (2009), “Trading Costs and Returns for U.S. Equities: Estimating Effective Costs from Daily Data”, Journal of Finance, 64(3):1445–1477.

Philippon, T (2011), “Has the US Finance Industry Become Less Efficient?”, mimeo NYU.